Je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe dans la tête de ces milliers d’hommes devenus des harceleurs en ligne dès qu’une femme un peu célèbre (souvent sur les réseaux sociaux) semble heurter leurs préjugés ou même simplement leurs idées. La haine en ligne est terrifiante et n’est pas suffisamment prise en compte par la justice. C’est un phénomène « de masse » qui nécessite des réactions fermes. Mais voilà, Internet est devenu un espace d’expression où le pire côtoie le meilleur avec un pire trop peu réprimé.
Aujourd’hui, nous sommes témoins de pratiques quasi systématiques de harcèlement numérique de femmes connues sur le web. Un exemple nous est donné avec le long-métrage « Je vous salue salope », réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist. À titre personnel, je n’aime pas le titre de ce film. Il est pourtant un excellent témoignage qui plonge le spectateur dans les tréfonds misogynes d’Internet. Il documente la haine envers les femmes. La bande-annonce est révélatrice. Je vous invite à la découvrir ici.
Le reportage donne la parole à quatre femmes à travers deux continents : Laura Boldrini, ex-présidente du parlement italien, Kiah Morris, ex-représentante démocrate américaine, Marion Séclin, comédienne et Youtubeuse française ainsi que Laurence Gratton, jeune enseignante québécoise harcelée depuis 5 ans par un ancien collègue de classe. Pour comprendre le phénomène de la misogynie en ligne, les réalisatrices sont allées jusqu’au cœur la Silicon Valley pour y rencontrer Donna Zuckerberg, spécialiste des cyberviolences faites aux femme et sœur du fondateur de Facebook.
Un autre exemple nous est donné avec le témoignage de Léna Situations, créatrice de contenu sur internet. Elle qui cumule 2 millions 400 mille abonné(e)s sur YouTube, a reçu des milliers de messages d’insultes, de violentes critiques sur son physique lorsqu’elle s’est tout simplement coupé les cheveux. Elle a reçu des menaces sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter. Cette vague de cyberharcèlement a beaucoup altéré la santé mentale de la jeune femme.
Magali Berdah, patronne de Shauna Events et agente de nombreuses célébrités télé, telles que Nabilla fait actuellement les frais d’un cyberharcèlement intense qui prend pour origine un conflit avec un rappeur (Booba). Elle dénonce les centaines de milliers de messages de haine qu’elle reçoit. Son adresse a été diffusée sur les réseaux sociaux. Par peur, elle a alors dû déménager en moins de 24 heures. Elle a porté plainte à Paris pour menaces, y compris de mort et d’appartenance religieuse, diffamation, injure publique, appels téléphoniques malveillants et harcèlement. Le Pôle national de la haine en ligne (PNHL) s’est saisit directement de l’affaire.
Autre personnalité qui est accusée pour ses idées, Sandrine Rousseau est sans cesse insultée en ligne. Des comptes parodique sont ouverts. Jugée « radicale », l’écoféministe divise et ses propos entraînent des polémiques mais aussi de la haine comme le précise un article de Ouest France. On a le droit d’être en désaccord avec les idées clivantes de l’élue écologiste mais pourquoi y a-t-il tant de réponses à ses arguments qui se limitent à des insultes et des remarques misogynes ?
Ce harcèlement de femmes connues révèle-t-il quelque chose de profond ?
En mars 2017, le Haut conseil à l’égalité s’était auto-saisi de la problématique des violences dont sont victimes les femmes sur internet, que ce soit via les réseaux sociaux ou les applications mobiles. Cinq ans plus tard, les difficultés demeurent. Au delà les femmes médiatiquement exposées, il existe une autre forme de cyber-harcèlement. Il sévit notamment dans les couples. Des applications permettent d’agir dans une relative impunité pour dénigrer, mais aussi surveiller celui ou celle (plutôt celle d’ailleurs) qui est victime d’un conjoint jaloux, suspicieux qui s’arroge l’autre comme sa propriété qu’il faut à tout prix contrôler.
Neuf femmes sur dix victimes de violences conjugales ont fait l’objet de cyber-contrôle de la part de leur partenaire. Ainsi le cyber-contrôle qui est une forme de cyber-harcèlement est subi par 93% des femmes victimes de violences conjugales. Il consiste à connaître et vérifier régulièrement les déplacements et relations sociales de sa partenaire. Le Haut Conseil à l’égalité donne une définition à cette pratique de surveillance : cela « désigne l’emprise qu’exercent les agresseurs sur leurs victimes par les outils numériques. Il se traduit par exemple par le fait, de la part de l’agresseur, de localiser sa conjointe en permanence, de connaître chacun de ses faits et gestes avec la volonté de contrôler chaque pan de sa vie ».
Le Cyber-contrôle outil du cyber-harceleur.
Il faut d’abord bien comprendre que la victime est enfermée au fil du temps dans un huis clos symbolique, mais aussi réel. Le conjoint lui demande sans cesse de justifier ses actes, ses déplacements, ses rencontres et plus largement de ses activités. Cela prend une grande énergie à chacun. À force de se justifier, la personne contrôlée a le sentiment de devenir transparente. Elle peut « résister » dans un premier temps, mais généralement, elle cède progressivement du terrain et lâche prise. Elle estime alors qu’elle n’a plus rien à cacher, mais aussi que rien ne lui appartient. Tel un animal en laisse, elle ne peut aller où bon lui semble et doit développer des trésors d’imagination pour « voler » un moment, souvent court, qui lui appartienne réellement.
Revenons sur le comportement du cyber-contrôleur (qui est de fait un cyber-harceleur). Je me suis référé à ce guide déjà un peu ancien publié en novembre 2012 par l’association britannique Networkfor Surviving Stalking et la fédération Women’s Aid Federation of England qui détaille le processus de surveillance. Il s’adresse aussi bien aux femmes victimes de harcèlement et de cyber-contrôle qu’aux associations qui les accompagnent, mais il est en anglais
Alors comment agit le conjoint avec les outils numériques ?
- Il commence à vouloir savoir à qui vous envoyez des textos, des e-mails et ce que vous envoyez. Il est suspicieux, parfois même parano.
- Il vous contacte à de nombreuses reprises dans la journée et vous demande ce que vous faites, en vous demandant de confirmer l’endroit où vous êtes.
- Il a l’air de savoir quand vous vous trouvez à un endroit inhabituel. Dans ce cas, il est possible qu’il ait installé un logiciel de géolocalisation sur votre téléphone.
- Puis il commence à vous envoyer des textos agressifs, voire menaçants car il s’énerve très vite si vous sortez du cadre qui déroge aux habitudes
- Comme il est suspicieux, il commence à contacter vos ami.e.s ou votre famille pour vérifier ce que vous leur dites ou si ce que vous lui avez dit est bien réel. Il cherche aussi à obtenir des informations sur vous. Il peut aussi vouloir détériorer vos relations avec vos amis (s’il vous en reste) ou votre famille.
- Il commence à répandre des rumeurs sur vous, à poster des commentaires embarrassants et violents en ligne via les réseaux sociaux et/ou les forums.
- Il a l’air de connaître des informations que vous ne lui avez pas dites ou de savoir ce que vous faites en ligne, comme les sites internet que vous consultez, les personnes avec lesquelles vous discutez en ligne ou celles à qui vous avez envoyé des e-mails. Dans ce cas, il est possible bien évidemment qu’il ait installé un logiciel espion sur votre ordinateur.
- Il vous a demandé vos mots de passe. Si vous lui avez donné il en prend le contrôle en les modifiant et vous les attribuant quand il le souhaite. Il en est devenu propriétaire.
- Vous trouvez des mails marqués comme lus alors que vous ne les avez pas ouverts, (bien qu’il lui est possible de les rendre « non lus »). Vous découvrez des messages envoyés de votre compte alors que vous ne les avez pas rédigés.
- De l’argent peut aussi commencer à disparaître de votre compte en banque. Vous découvrez des virement que vous n’avez pas opéré
- Des informations disparaissent comme par magie de vos appareils tels que les numéros de téléphone de vos ami.e.s, des fichiers de votre ordinateur ou des mails.
- etc. etc.
Tout cela parait excessif ?
Cela ne l’est pas vraiment, car le processus de prise de contrôle de l’autre est progressif. Un peu comme dans l’histoire de la grenouille qui est dans une marmite et qui se laisse progressivement ébouillanter. Ce qui est inacceptable au début devient acceptable au fil des petits renoncements de la victime qui, rappelons-le, est aussi sous emprise psychologique.
Pour aider, il faut aussi se former
Fort heureusement, comme toute personne, une victime peut à un moment développer une réaction de survie. Et là, il est absolument important que vous soyez à l’écoute, sans jugement et que vous ayez été formé(e) pour pouvoir répondre aux femmes victimes de cyber-harcèlementen évitant des erreurs de débutants.
L’écoute et la prise en compte des femmes victimes ne s’improvisent pas. Il faut bien connaitre les processus et avoir travaillé sur son propre mode de relation pour espérer répondre efficacement à une personne qui vit une telle pression. Il leur faut beaucoup de force pour chercher à se sortir d’une telle relation toxique et malheureusement cela reste un long parcours fait d’aller-retours qu’il vous faudra bien accepter…
Quelques articles sur ce sujet :
- « Il se dit lanceur d’alerte »… Magali Berdah, la papesse des influenceurs, dénonce le harcèlement de Booba | 20 Minutes
- L’influenceuse Lena Situations dénonce le harcèlement dont elle et sa famille sont victimes | Ouest France
- L’effrayant constat des cyberviolences conjugales : mesurer et comprendre le phénomène
- Cyberharcèlement : quand les violences conjugales se répliquent avec le numérique | La Tribune
- La cyberviolence contre les femmes (et certains hommes) ne sont pas virtuelles, elles sont bien réelles
- « Comprendre et maitriser les excès de la société numérique » (mon livre)
- En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes (rapport public)
- Lutte contre les violences faites aux femmes : à vos smartphones citoyennes ! (Elle)
et aussi
- J’ai besoin d’aide
- Comment effacer mes traces sur internet ?
- Outils de formation : accueillir une femme victime de violences