Inclusion numérique : 6 constats et une proposition phare pour le Conseil National de la Refondation

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Il m’a récemment été demandé par quels sont mes constats sur l’inclusion numérique en France à l’échelle de mon activité. Ces constats sont nombreux et j’en ai sélectionné six qui me semblent révélateurs de la situation actuelle dans notre pays. Bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive. C’est une approche particulière. Ces constats, quels sont-ils ?

  • 1er constat : Les institutions de protection sociale se sont saisies des outils numériques en créant des plateformes passages obligés pour la gestion des droits. (CAF,  assurance maladie, retraite, dispositifs de gestion de l’hébergement d’urgence, RSA, SI-SIAO, outils des collectivités territoriales, etc.). Nous assistons aujourd’hui à une plateformisation de la société. Toute la population est invitée à utiliser chaque jour ou presque une plateforme numérique. Ce qui, bien sûr, pose de réelles difficultés.

 

  • 2ème constat : Cette plateformisation de l’action sociale n’a pas été suffisamment accompagnée, notamment en direction des publics cibles que sont les familles précaires, pauvres, et en difficulté sociale et professionnelle. Il y a aussi des publics intégrés financièrement qui sont en difficulté (jeunes, personnes âgées, personnes souffrant de ce nouveau mal nommé illectronisme).

 

  • 3ème constat : Un grand nombre d’applications mises en place par les administrations n’est pas centré sur les pratiques des usagers. Elles répondent à des règles administratives complexes ( par ex. le renseignement du logiciel SI-SIAO pour l’accès à l’hébergement demande l’équivalent d’une dizaine de pages papiers à renseigner). C’est aussi la même chose pour certaines applications commerciales comme celle proposée par la SNCF. Ni les professionnels de l’aide ni les « usagers » n’ont été suffisamment associé à la mise en place des plateformes, il n’y a pas de design commun entre les structures, ce qui multiplient les modes d’emploi différents.

 

  • 4ème constat : Certains professionnels, mais aussi les bénévoles manquent d’une formation adaptée. Aider ne s’improvise pas. Il existe des formations qui relèvent plus à mon sens d’une information – sensibilisation des aidants. Ils  manquent d’outils, Il n’est pas possible de les acquérir en 6 jours de formation seulement comme c’est le cas pour les agents des Maisons France Service . La pratique des aidants est insuffisamment accompagnée. Ils ne peuvent répondre à la multiplicité des problématiques qu’ils rencontrent.

 

  • 5ème constat : Si le système est utile et efficace pour une majorité de nos concitoyens, il génère dans le même temps de l’exclusion. Les utilisateurs de ces plateformes trouvent de moins en moins d’interlocuteurs des administrations qui sont pourtant responsables de ce qu’elles engagent. Celles et Ceux qui aident le public en difficulté ne peuvent pas maitriser tous les aspects de la logique administrative. Elle est très souvent complexe et même parfois incompréhensible (essayez par exemple de comprendre le calcul de la prime d’activité).  Les aidants sont mis en difficulté. Cette réalité provoque du non recours aux droits. Les professionnels du travail social font face à de très nombreuses demandes et ne peuvent répondre à toutes. Leurs métiers sont transformés.

 

  • 6ème constat : Cette situation est due à un renversement de la norme administrative : par le passé, c’était à l’administration de s’adapter au public d’ayants droits en mettant en place une politique d’accès à l’information via notamment des permanences. Aujourd’hui, ce renversement de la norme impose à la population de s’adapter aux outils de l’administration. Cela oblige les potentiels ayant-droits à comprendre et à maitriser les systèmes d’information mis en œuvre. Ceux qui ne s’adaptent pas, pour de multiples raisons, abandonnent toute démarche. Ils sont les laissés pour compte du pacte républicain et vivent cette absence d’égalité comme un abandon de la part des pouvoirs publics.

 

Face à ces constats, quelle priorité engager ?

C’est la question qui m’a été posée. Certes, on ne peut garder qu’une seule action à mettre en œuvre tant les difficultés justifient de multiples réponses croisées. Chaque constat peut en effet se traduire par une ou plusieurs mesures à engager. Mais en me pliant à cet exercice qui consiste à n’en garder qu’une seule, voici ce que j’ai retenu :

« Outre une refonte importante de ces plateformes passant par une simplification de l’accès aux droits que tous réclament, il me parait essentiel de construire des réseaux de solidarité numérique dans les territoires (quartiers, communes…). Ils mettraient autour d’une même table les acteurs professionnels de l’aide, bénévoles (ou leurs représentants vu le nombre) et les représentants des services numériques en ligne afin qu’ils puissent :

  • Mieux se connaitre et sortir des représentations
  • Travailler ensemble en articulant leurs interventions
  • Expérimenter des formations communes
  • Se soutenir les uns les autres
  • Construire des actions collectives permettant d’accueillir les personnes en difficulté avec le numérique en les associant dès le départ

 

Pour cela, il faut des moyens, on ne peut pas compter que sur la bonne volonté de chacun. Il est aussi essentiel de leur apporter des moyens permettant de peser sur les choix engagés par les administrations pour que soit régulée les excès de cette plateformisation de la société. Il nous faut accepter l’idée que la technologie n’a pas réponse à tout et que les échanges humains restent essentiels pour un mieux vivre ensemble et surtout pour ne laisser personne de côté ».

 

Note : J’ai récemment été auditionné par Amélie Naquet de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires et Guillaume Lahoz du réseau des PIMMS Médiation. Cet échange entrait dans le cadre des travaux sur le volet numérique du Conseil National de la Refondation. Ayant répondu à un questionnaire, je me rends compte que finalement certaines de mes réponses rédigées dans cet article pourraient vous intéresser.

 

Photo : default 07 @ nakaridore sur Freepik

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