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Gare à la CAF si vous n'avez pas Internet..

Les allocataires de la CAF qui ne maitrisent pas leur messagerie ou Internet ont des soucis à se faire. C’est ce que j’en ai compris  après avoir entendu le témoignage de plusieurs assistantes sociales sur les conséquences très concrètes de cette évolution « tout numérique » engagée au sein des Caisses d’Allocations Familiales. Certains de ses agents n’y vont pas par quatre chemins. Suite à un échange de messages entre la CAF et le service social, j’ai interrogé plusieurs assistantes sociales qui me confirment bien que la numérisation des données produit des effets particulièrement négatifs à l’encontre du public le plus fragile, celui qui n’utilise pas Internet. La « fracture numérique » est bien là et elle est en train de provoquer de nouvelles exclusions

« Madame, Monsieur. Monsieur Paul B. n’a pas accès à Internet. Est-ce possible de lui donner une déclaration trimestrielle de ressources papier ? Merci.  Signé M. J. assistante sociale. » La demande est simple. Monsieur B n’a pas d’ordinateur ni de connexion possible. Allocataire du RSA, jusqu’à présent il transmettait par courrier sa déclaration de revenu comme il l’avait toujours fait.

La réponse écrite d’un agent de la  CAF est précise et laconique : « Les déclarations trimestrielles RSA ne se font plus que par internet ». « Il faut aider Monsieur à créer une adresse mail sur laposte.net et se connecter sur caf.fr pour faire sa déclaration. » L’agent CAF, fort obligeant dans le premier sens du terme, indique enfin une adresse mail qu’il a lui même créé au nom de la personne. Il a noté à coté le mot de passe qu’il a lui même prévu. Bref suite à ce message, l’allocataire se retrouve avec une adresse mail qu’il n’a pas créé et pour cause, le fonctionnement d’une messagerie lui est totalement inconnu. Enfin et bien sûr, c’est à l’assistante sociale de se débrouiller avec ça.

Cet épisode réel n’est sans doute pas isolé. Pourtant la CAF nous avait assuré que les déclarations « papier » continueraient dans les cas où les personnes qui n’utilisent pas Internet, ne peuvent utiliser un ordinateur ou un smartphone et encore moins gérer une messagerie.

Cet incident appelle  à plusieurs commentaires. Nous le savons 100% d’une population n’utilise pas un véhicule, c’est une évidence. 100% des personnes ne peuvent se déplacer comme elles le souhaiteraient. C’est parfois très compliqué notamment en zone rurale, justement là où il n’y a plus de service public. C’est la même logique en ce qui concerne l’accès au numérique : concédons que 100% de la population n’utilisera pas internet pour ses démarches. Pourtant, tous doivent s’adapter et trouver leurs propres solutions. Le simple fait d’installer des bornes et de laisser la population  s’en débrouiller sans accompagnement ni de présence humaine est une violence supplémentaire  infligée aux plus fragiles, à ceux qui ne sont pas connectés. Ils sont nombreux. 17% de la population française qui ne sont pas que des « bobos technophobes » ne disposent pas de connexion ni d’ordinateur. Alors on fait que fait-on pour eux ? Doit-on tous les orienter vers une assistante sociale ?

Une étude réalisé en 2015 par le CREDOC précise que « Les personnes qui n’ont pas de connexion internet à leur domicile sont, comme en 2014, plus souvent des femmes, plutôt âgées (44% ont 70 ans et plus). Il s’agit en majorité de personnes seules (59%), d’individus à faible niveau de diplôme : 42% ont un niveau BEPC et 41% sont non diplômés. 53% sont retraités, avec un faible niveau de revenus (32% appartiennent à la catégorie des personnes disposant de bas revenus et 31% à celles de la classe moyenne inférieure). Et enfin 31% vivent dans une commune rurale (moins de 2 000 habitants). »

Soyons encore plus précis. Ce sont bien les personnes à faibles revenus qui sont le plus concernées : «  Les non-internautes sont désormais 16% de la population. Dans ce groupe très âgé où plus d’une personne sur deux a 70 ans ou plus (59% contre 15% dans l’ensemble de la population) et ou deux personnes sur trois sont retraitées, les femmes (61%, +9 points) et les ruraux (31% résident dans des communes rurales, +8 points) sont surreprésentés. Le niveau de vie est plutôt bas dans ce groupe : 61% des non-internautes se classent dans la catégorie des individus dotés de bas revenus ou dans les classes moyennes inférieures (contre 45% de la population en moyenne). »

Revenons encore à cet échange qui, souhaitons-le, ne devrait être qu’isolé (à vous de le préciser, vos commentaires sont les bienvenus à ce sujet). Ce qui me parait encore plus discutable et dénué d’éthique est aussi la pratique de cet agent de la CAF. Il me semble que celui-ci, en créant une boite à lettre au nom d’une personne, se dégage du problème posé de la plus mauvaise façon qui soit. Il agit en nom et à la place d’une personne sans que celle-ci ait demandé quoi que ce soit, sans qu’elle le sache. Il s’est substitué à elle pour créer un espace personnel censé  être sécurisé. Ce sera alors à l’assistante sociale d’informer la personne ce qui a été fait à sa place et en son nom. Là aussi il y a de quoi être un peu inquiet sur la façon dont sont considérés certains de nos concitoyens, notamment les plus fragiles.

Enfin, quels sont les effets de cette politique du « tout numérique » de la CAF sur le travail des assistantes sociales de secteur ? Certaines m’ont précisé « qu’un rendez-vous sur trois en moyenne concerne la gestion des droits des personnes » et notamment ceux gérés par la CAF. Cela concerne principalement les zones rurales.  » ce n’est pas compliqué », précise l’une d’entre elles. « J’ai toujours CAFPRO ouvert en permanence car je sais que je vais l’utiliser plusieurs fois par jour ». Cette assistante sociale constate une multiplication des suspensions de droits qui font suite à un manque de suivi de leur compte CAF par les familles. « elles réagissent moins bien aux mails qu’aux courriers » précise-t-elle. « Ces pertes de droits sur des revenus essentiels nous obligent à faire appel de façon plus importante aux associations caritatives » Enfin il y a quelque chose que la professionnelle ne comprend pas non plus : des écarts existent entre ce qui est selon elle indiqué dans CAFPRO et ce qui est indiqué dans le compte de l’allocataire lorsque celui-ci  se connecte directement. Bref de quoi y « perdre son latin. « C’est comme si la CAF ne savait pas que des allocataires ont leurs abonnements suspendus ou coupés ou n’ont plus de portable. »  Pour eux, « il leur est alors appliqué la double peine » précise-t-elle. La coupure d’électricité ou d’abonnement téléphonique et la perte du droit car elle n’a pas pu faire sa mise à jour et informer la CAF de sa situation administrative ».

Précisons toutefois que la CAF ne peut être seule mise en cause : Le tout numérique lui est imposé par les textes. Ainsi l’administration est obligée d’attribuer le RSA via des demandes internet avec une simple déclaration. Il faudra ensuite réajuster les droits le trimestre suivant sur la base des revenus déclarés et contrôlés grâce au croisement des fichiers entre administrations. Pas sûr que cela ne provoque pas de nouvelles difficultés avec notamment des trop perçus. Mais nous sommes dans l’ère de la modernité, n’est-ce pas comme nous le montre ce document de la CAF des Charentes Maritimes qui met en avant le 100% numérique sans s’interroger sur les effets qu’il provoque.

Il serait vraiment nécessaire de se pencher sur cette question du tout numérique, plutôt que de nous en décliner les louanges au fil de réunions partenariales alors que ses effets visiblement ne profitent pas à tous loin de là.

Le défenseur des Droits nous le rappelle dans un avis circonstancié : « La diffusion des équipements mobiles, l’informatisation de la plupart des métiers ainsi que la progression continue des services administratifs en ligne, font de l’usage du numérique une exigence. En aucun cas celui-ci ne doit cependant venir renforcer des facteurs d’inégalité déjà existants, en devenant un vecteur supplémentaire de précarisation et de non recours. Or, la question de l’accès au numérique ne se limite pas à une question de moyens techniques, ou de course au haut débit : s’il existe une fracture, les terminaux mobiles et les tablettes ouvrent progressivement à des publics économiquement défavorisés un accès à de multiples services ». « Plus encore, il n’est pas tenu compte de la population qui n’a pas d’imprimante ou de scanner pour imprimer ou transmettre une pièce ». Le Défenseur des droits recommande toutefois que soit instaurée une clause de protection des usagers vulnérables pour toute procédure de dématérialisation d’un service public, en prévoyant l’obligation d’offrir une voie alternative au service numérique. Il semble bien que les CAF des différents Départements n’aient pas l’intention de tenir compte de cette recommandation, ce qui est très dommageable.

Image issue du site du gouvernement : « La #LoiNumérique en 9 dessins (dont un burger et une fusée) »  Illustrations : Olivier Laude

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Une réponse

  1. Merci pour cet article fort intéressant…
    Une astuce pour qui est concerné·e : il faut savoir que l’on peut remplir soi-même le CERFA de déclaration trimestrielle RSA après l’avoir imprimé. Il est téléchargeable ici : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R527
    Les assistantes sociales (et les collectifs de précaires !) peuvent sans doute en avoir toujours un petit stock sous la main. Il est aussi possible d’en imprimer à partir des ordinateurs en libre-service… dans les CAF. Une fois, une salariée m’en avait imprimé une dizaine pour que je sois tranquille pour quelques temps.
    De mon expérience personnelle de RSAste, et malgré le passage de la CAF au tout-numérique, les déclarations faites sur papier sont traitées quand même (bien que plus lentement sans doute). À voir pour combien de temps…

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