J’ai passé pas mal de temps sur la situation de Freddy M., un jeune homme interdit de toute structure (exclu du CHRS, du CCAS, de la mission locale..) Il arrive à tout moment sans prévenir au centre médico-social et met une belle pagaille. Seul l’assistant social (l’homme du cms) parvient avec grand mal à le cadrer. Il ne se résout pas à l’exclure alors que Freddy lui, fait tout pour que cela se fasse.
Il ne connait que ça, être rejeté. Il provoque en permanence. Il s’enferme dans les toilettes, on le soupçonne d’avoir tenté de mettre le feu à une affiche de la salle d’attente. Il traite les femmes de tous les noms et bien évidemment tout le monde tire une drôle de tête quand il est là. Il s’incruste même quand il n’a pas rendez-vous. Il vous regarde avec un petit sourire narquois. « virez-moi, virez-moi et vous allez voir ! » semble-t-il nous dire. Ingérable et très difficilement « accompagnable ». Il s’est pourtant fixé sur l’assistant social qui parvient à passer du temps avec lui, pour l’écouter et le conseiller. Il ne peut faire plus tant son interlocuteur n’en fait qu’à sa tête.
Les entretiens ne dépassent pas 15 minutes, après il bouge, se trémousse et ne tient plus sur sa chaise. Il a besoin d’air, d’espace mais aussi d’un public. Bref, il a tout pour être le mauvais pauvre, il est du mauvais genre, celui qui ne respecte rien, en tout cas pas les règles.
Freddy est un ancien enfant de l’ASE.
Évidemment, diront certains. Il a eu des ennuis avec la justice et la police. Le SPIP l’a à l’œil, c’est du moins ce qu’il dit. Bref, il n’a rien pour lui et fait tout pour être rejeté, pour qu’on le vire et pour qu’après il puisse crier sa rage et même devenir violent. Il relève plus de l’accompagnement médical, mais n’en n’a que faire. Les psychiatres non plus d’ailleurs.
Que faire avec lui ? Nous avons passé un bon moment pour rechercher une solution. Comment continuer à l’aider alors que son seuil de tolérance est si réduit ? On a construit des hypothèses, regardé ce qui est positif pour lui et nous avons retenu une solution toute simple, de l’ordre du possible. L’assistant social le recevra, mais en dehors du CMS. Il va tenter de faire un pas de côté pour continuer de l’aider dans ses démarches, mais dans un lieu en dehors de la structure qu’il perturbe. Et puis nous allons sans doute réunir tous les intervenants qui le connaissent pour tenter de mieux comprendre ce qui fonctionne pour lui et ce qui lui est particulièrement insupportable.
Tenter quelque chose, mais on ne sait pas quoi.
C’est là que commence le travail social. Celui où on ne dispose pas de réponse inscrite dans un dispositif ou une procédure. Ce jeune nous oblige à réfléchir et à rechercher une ou plusieurs solutions à lui soumettre, car finalement, c’est bien lui qui décidera. Et lui saura ce que l’on fait et aussi dans quelle difficulté il nous met. Ce n’est pas gagné. Certains nous prédisent l’échec et si « ça casse » nous aurons droit à du « je vous l’avais bien dit ! »
Ces jeunes-là, terminent généralement leur parcours devant le juge en passant par la case prison. Ils ne touchent pas 10.000 euros quand ils passent par la case départ. Au Monopoly de la vie, ils sont toujours perdants. Malgré tout cela, malgré tous ces jugements négatifs qui les entourent, je reste persuadé que la solidarité nationale est là pour nous donner les moyens de continuer à tenter de les accompagner, de les soutenir dans leurs démarches. Même ceux dont personne ne veut, qui n’ont aucune estime pour eux ni pour les autres.
La solidarité, c’est aussi cela. Garder le lien avec ceux que l’on nomme les ingérables, les « incasables », bref les « emmerdeurs ». Ceux qui nous empêchent de ronronner en quelque sorte. Et c’est tout à l’honneur des travailleurs sociaux de tenir bon malgré les incompréhensions, les jugements, les invectives, les provocations, les injonctions et le rejet.
Note : pendant mes congés, je vous propose une rediffusion de certains articles « réactualisés » : celui-ci avait été initialement publié le 21 juillet 2017
Photo : Gratisography