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« Les Fossoyeurs » : Détresses cachées, « vieux » en danger, un sujet toujours d’actualité.

L’enquête du journaliste indépendant Victor Castanet sur le « business » des maisons de retraite privées mérite bien d’être portée en place publique. Son livre Les Fossoyeurs (Fayard, 388 pages, 22,90 euros) dénonce une situation que l’on peut qualifier d’abominable au sein d’un grand groupe privé de maisons de retraites de luxe (ORPEA).

Le manque de moyens tant humains que matériels ont provoqué un grand délaissement de nos aînés dans des établissements qui pourtant leur coûtent très cher. Chez ORPEA la chambre d’entrée de gamme d’une vingtaine de mètres carrés coûte près de 6 500 euros par mois et les tarifs grimpent jusqu’à 12 000 euros pour les plus luxueuses. Mais voilà, malgré ces prix, des personnes âgées ont été véritablement mal-traitées. La recherche du profit en a été le moteur. L’auteur de ce livre assure détenir les preuves de ce qu’il avance.

Il dénonce la « gestion exclusivement comptable de la prise en charge d’êtres humains vulnérables ». En près de trois ans d’enquête, il a rencontré 250 personnes, enregistré plus de 200 témoignages. Tous ou presque vont dans le même sens. Un manque de disponibilité du personnel, des couches rationnées, des repas aux coûts minimisés et l’absence d’une présence humaine, pour les toilettes les plus élémentaires

Une maltraitance institutionnalisée

Certes il n’est pas question de prétendre que tous les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du pays sont des endroits où les personnes âgées sont maltraitées. Mais l’exemple fourni dans ce grand groupe a de quoi inquiéter. Il met en lumière la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui de nombreuses personnes âgées dépendantes dans certains établissements.

Il est bien question de mal-traitance au sens premier du terme même si la volonté de maltraiter n’est pas là. La maltraitance est aussi présente chez les personnes âgées qui vivent à leur domicile. Les révélations et les témoignages sur ces situations ont provoqué la mise en place au sein de plusieurs Départements de dispositifs de recueil de d’informations préoccupantes comme cela existe déjà pour les enfants.

Pour autant, les contrôles des établissements sont très insuffisants. Quand ils existent, les responsables sont prévenus jusqu’à trois semaines à l’avance. Cela donne le temps de cacher la réalité du quotidien d’autant que peu osent témoigner quand cela ne va pas. Il sera considéré tout au plus qu’il s’agit d’une situation particulière que ne reflète pas la réalité des autres résidents.

Contrairement à la protection de l’enfance, il n’existe pas de mesures judiciaires de protection dédiées aux personnes âgées en réponse au besoin de protection physique. Il y a bien les mesures de protection financières pour éviter les détournements d’argent ou sa « gestion inadaptée » mais finalement, les travailleurs sociaux agissent souvent « avec les moyens du bord » et la bonne volonté de chacun. Ce problème est réel.

Les décès par accident sont très nombreux

10.000 personnes âgées meurent chaque année victimes de chutes à la maison ou dans l’établissement qui les accueille. Ce chiffre est à comparer avec les 4000 tués par an dans les accidents de la route en France. Comment se fait-il que ces morts silencieuses de nos anciens, fréquemment délaissés, soient si peu prise en considération ? Il en est de même au sujet de la maltraitance directe. C’est un sujet qui avait été traité dans les années 1990 par le Conseil de l’Europe qui a proposé une définition et une classification de cette réalité.

Mais qu’est-ce que la maltraitance ?

Le Conseil de l’Europe apporte la définition suivante de la maltraitance.  Il s’agit de « Tout acte ou omission commis dans le cadre de la famille par un de ses membres, lequel porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique, ou à la liberté d’un autre membre de la famille ou qui compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière. ». Cette définition est restrictive, car elle ne s’intéresse qu’au milieu familial sans évoquer d’autres violences comme celles qui surviennent dans les institutions, tels les foyers logement, les maisons de retraites et autres établissements médicalisés.

Une Hausse persistante des signalements en établissement

Trop peu de travailleurs sociaux sont formés pour déceler et traiter la maltraitance chez les personnes âgées. Bien sûr il y a le numéro vert 3977. Déjà en novembre 2021 la Fédération 3977 contre les maltraitances annonçait une hausse persistante des alertes pour maltraitances en établissement par sa plateforme téléphonique ou directement par ses centres. Une nouvelle hausse des situations conduisant à ouvrir un dossier (maltraitances possibles) était constatée au 3ème trimestre 2021. Cette évolution porte plus particulièrement les situations issues des établissements médico-sociaux et de santé (+ 61% de signalements sur un trimestre) (lire le communiqué). Entre 5 et 15% des personnes de plus de 65 ans seraient victimes de violences. Le taux augmente avec l’âge, il passe à 20% pour les plus de 80 ans. Mais cela ne comptabilise pas les violences par délaissement. Abandonner une personne âgée à son sort sans se préoccuper des soins dont elle a besoin est une violence manifeste qui ne dit pas son nom.

Agir face à la maltraitance par délaissement

La violence au quotidien n’est pas aisée à reconnaître, car elle est masquée par l’habitude. Elle se présente plutôt comme la violence passive du laisser-aller ou du laisser-faire. Certains y voient sans doute à raison une conséquence des conditions de travail imposées aux personnels des établissements et notamment dans les EPHAD. Comment respecter un rythme de vie, les aides soignant(e)s ne sont pas en nombre suffisant. L’administration de calmants par exemple n’est-elle pas une réponse permettant de gérer à moindre frais une pénurie de moyens humains ?…. Bref, les institutions ont à s’interroger sur les conditions matérielles en moyens humains, de soins, mais aussi d’écoute…

La violence peut aussi être liée aux politiques de recrutement des établissements, à des défauts d’organisation et de manques de compétences des personnels…  Sans avoir à culpabiliser, les professionnel(le)s doivent pouvoir s’interroger. Ils reconnaissent souvent eux-mêmes que leur travail n’est pas valorisant. De nombreuses aides à domicile (pas toutes) n’ont reçu aucune formation et parmi celles qui en ont reçu, très peu ont été formés à la relation d’écoute et d’aide. Elle n’ont tout simplement pas de temps disponible pour cela.

Bref, le livre « Les fossoyeurs »qui parait aujourd’hui doit nous alerter sur cette maltraitance par délaissement trop habituellement ignorée. Cette fois-ci des faits très graves sont rapportés dans une enquête très étayée. Il n’y a plus qu’à espérer que des réponses soient apportées tant au niveau des contrôles des établissements que dans les moyens à leur apporter pour qu’ils puissent accompagner dignement nos ainés trop fréquemment oubliés.

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Credit Photo: Marmotte73 on Visual Hunt / CC BY-NC-SA

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