Enfant violée et maltraitée : le Défenseur des Droits pointe les défaillances des services sociaux. Mais qu’en est-il vraiment ?

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Enfant violée et maltraitée : le Défenseur des droits pointe les défaillances des services sociaux titre une dépèche AFP reprise par les médias. Mais qu’en est-il vraiment ? Les services sociaux ont-ils été si défaillants malgré les faits dramatiques (viols d’une enfant) qui ont ensuite été révélés ?

Jacques Toubon a  publié le 6 juin un rapport d’analyse des interventions socio-éducatives, judiciaires et policières entre 1998 et 2005 concernant la jeune K.J. qui  fêtera ses 22 ans en Juillet prochain.  En fait même si c’est le service social qui est pointé dans le titre de l’article, ce n’est pas celui-ci qui est principalement visé. C’est selon, le rapport, un ensemble de « défaillances de la part des intervenants socio-éducatifs, judiciaires et policiers, qui n’ont pas su faire montre de la clairvoyance que l’on doit aux enfants ». En clair indique Geneviève Avenard, l’enfance de cette enfant n’a pas été protégée, « en dépit de multiples alertes et signalements émanant de son entourage et de professionnels sociaux, éducatifs et médicaux ».

Même si cela ne les excuse pas, les faits sont anciens, bien antérieurs aux lois de 2007 et 2016 réformant la protection de l’enfance.  Ils ressurgissent aujourd’hui à la lumière de ce rapport qui tente de comprendre rétrospectivement l’enchaînement des raisons qui ont conduit à ce que ce bébé, puis cette très jeune enfant ne bénéficie pas de la protection qui  était nécessaire.

De sérieux reproches portés à l’encontre des professionnels

La petite KJ n’a rencontré qu’une unique fois, seule, le travailleur social chargé d’une mesure d’Action Éducative en Milieu Ouvert la concernant une fois la mesure tardivement prononcée. Durant toutes ces années, elle n’a jamais rencontré de juge des enfants. Sa parole, recueillie dans le cadre d’une enquête judiciaire sur des faits d’agression sexuelle à enfants, n’a pas été considérée de manière adaptée et approfondie indique ce rapport.

Il est aussi reproché aux professionnels de ne pas avoir suffisamment tenu  compte des « événements dramatiques du passé de sa mère » et du danger potentiel de la présence au domicile  familial d’un homme condamné à plusieurs reprises pour pédophilie en ne mesurant pas la gravité des signaux d’alerte avec une absence de partage de ces informations, de continuité et de cohérence de parcours depuis pris en compte par les lois de 2007 et 2016 sur la protection de l’enfance. En privilégiant la relation avec les parents au détriment de la protection de l’enfant alors que ceux-ci faisaient obstacle à toute intervention de professionnels.

Il faut se méfier de l’analyse rétrospective. Comme le rappelle Laurent Puech dans un article, il faut faire attention au « biais de la rétrospective : cette tendance à exagérer sa propre capacité de prévoir le cours des événements, après en avoir pris connaissance. » Ce que l’on ne voyait pas avant se voit ensuite à la lumière des faits révélés. Je pense que l’on est là dans cette réalité du biais de la rétrospective.

Le service social de secteur « apprend, lors d’un entretien, que Madame A-M J a eu un premier enfant, né d’un viol, 14 ans plus tôt, et l’a assassiné ». Elle a été condamnée pour ce crime à 8 ans d’emprisonnement et incarcérée pendant 5 ans. Le service social prévoit alors que le retour à domicile de la petite KJ sera accompagné de l’intervention d’une travailleuse familiale et d’un suivi intensif du service social, pour permettre à Monsieur J d’assurer son rôle de père et à Madame A-M J d’être accompagnée dans son rôle de mère. Fallait-il demander le placement l’enfant sur la base du passé de la mère ? Cela n’aurait pas été accepté.

Un premier signalement est envoyé le 7 juillet 1998 au procureur de la République. Il évoque l’incapacité des parents à respecter les différents contrats  passés avec les services et le manque de relation entre la mère et son bébé. Le 15 septembre 1998, le juge des enfants maintient KJ chez ses parents et préconise de fait un suivi assuré par les services de protection maternelle et infantile (PMI) une fois par mois, une prise en charge par une assistante maternelle 5 demi-journées par semaine et la présence au domicile d’une travailleuse familiale deux fois par semaine. Une expertise psychiatrique des parents est ordonnée.

 Les rapports se succèdent  

  • une note complémentaire le 16 septembre 98
  • une expertise psychiatrique le 14 décembre 98
  • un rapport intermédiaire au juge le 26 janvier 1999
  • Un rapport au juge qui rappelle les inquiétudes le 15 juin 1999
  • Un nouveau rapport le 28 mars 2000 qui insiste sur ce qui ne va pas
  • le 31 mai 2000 un non lieu suite à une demande d’assistance éducative

Puis c’est l’arrêt d’envoi de rapports pendant 2 années  qui s’explique : le juge des enfants a estimé que les éléments ne relevaient pas de la protection judiciaire et des faits nouveaux ne sont pas apparus.

Pour autant le service social continue de rencontrer les parents suite à des signalements notamment du 119. Il n’est pas fait état de risques d’abus sexuels malgré quelques signes qui aujourd’hui auraient sans doute mis en action la cellule départementale de recueil des informations préoccupantes qui à l’époque n’avait pas été créé (les faits remontent à  15 ans)

Le 2 octobre 2003, suite des faits nouveaux, un nouveau signalement est adressé au procureur de la République. Il demande un placement de l’enfant. La gendarmerie ouvre une enquête le 31 octobre. Le PV de l’enquête indique  en clôture « les allégations portées ne semblent pas fondées ». Il est transmis au procureur de la République de Rennes le 18 novembre 2003. L’affaire est définitivement classée le 19 mars 2004 par le parquet motif qu’il s’agit de « dénonciation calomnieuse par la tante de l’enfant ».

Un service social  peu entendu

Comprenez alors que le service social est lui-même désavoué puisque  ses demandes ne sont pas validées. Une enquète policière ne révèle rien et au contraire conclue par le fait que ceux qui ont dénoncés des faits révélés par la suite sont dans la dénonciation calomnieuse.

Le 16 avril 2004, le service social du Département  relance le procureur de la République par rapport au signalement qu’il lui a adressé le 2 octobre 2003, il sollicite «une mesure d’aide éducative dans l’intérêt de l’enfant».

Le 30 avril 2004, le parquet de Rennes saisira le juge des enfants.

Le 21 mai 2004, AB, alors âgée de 15 ans, se présente au commissariat de police de Meaux (77) accompagnée de sa mère et dépose plainte contre son père RB pour des faits de viols et agression sexuelles , faits s’étant déroulés de 1999 à courant 2002.

Des questions à se poser

Je vous passe la suite des évènements depuis 2004. A la lumière de ce qui est « dénoncé » par de défenseur des enfants, plusieurs questions se posent.

  • Comment un service social face à des parents non coopérants ou coopérant « en surface » peut il agir dès lors qu’une enquête de police stipule qu’aucun élément ne semble fondé, pire même, il s’agirait d’une dénonciation calomnieuse ?
  • Comment agir lorsque la justice estime elle-même que les faits indiqués ne relèvent pas de ses prérogatives et classe le dossier. Les services sociaux qui rappelons-le, n’interviennent qu’avec l’accord de la famille, doivent-ils passer outre les enquêtes de police et les décisions de justice pour continuer de considérer seuls que l’enfant est en danger ?
  • De nombreux services sociaux en France sont démunis dès lors que la justice ne suit pas leurs conclusions et analyses sur la gravité d’une situation. Croit-on vraiment que les travailleurs sociaux se désintéressent de telles situations ? Comment peuvent-ils deviner ce qui est caché ?

Il est effectivement relativement simple d’expliquer un fait à posteriori une fois qu’il est révélé. Mais tant qu’il ne l’est pas,  le droit ne permet pas de retirer un enfant de sa famille sans preuve formelle de maltraitance,  sans prouver que celle-ci est avérée.

Le rapport précise que Monsieur B a été reconnu coupable de viols et agressions sexuelles sur la personne de KJ, mineure de 15 ans. Il  a été condamné à trente ans de réclusion criminelle par la Cour d’Assises de Rennes le 6 juillet 2018. Madame A-M J a été condamnée pour subornation de témoin à deux ans d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve comportant une obligation de soins.

Dans son rapport, le Défenseur des Droits précise que « Le CDAS (le service social) a transmis quatre rapports de signalement d’enfant en danger, jouant son rôle d’alerte dans la situation de KJ ». Pouvait-il faire plus ?  A la lumière de ce qui s’est passé, le Défenseur des Droits considère que les rapports du service social  ne contiennent que « peu d’informations sur le développement de l’enfant et ses interactions avec ses parents, malgré les visites mensuelles à la PMI ». Mais à l’époque, faut-il le préciser, les intervenants ne se posent pas la question  du risque d’abus sexuel. Il est facile alors de considérer que les informations sont « pauvres » et insuffisamment explicites.

Au final le rapporteur des Droits reproche au service social  d’avoir fourni « Des écrits professionnels insuffisamment précis et explicites ». Or dans de nombreuses situations, il est difficile d’être explicite quand on ne dispose pas d’éléments suffisants. Ce n’est que lors d’une révélation qu’un rapport peut l’être. Dans cette affaire le service social a décrit dans son rapport de 2003 des faits graves avec des comportements sexualisés. Il ne s’agit plus là d’écrits professionnels insuffisamment précis.

Comment s’y retrouver et agir ?

Le Défenseur des Droits conclue la partie action sociale en précisant que les actions de prévention ont montré leurs limites dans la situation de KJ et n’ont pas permis d’assurer la protection de cette enfant.  Effectivement dans de très nombreuses situations, la prévention ne suffit pas. Je suis convaincu que certains professionnels souhaitaient une mesure de protection et de placement. Ils n’ont sans doute pas été entendu.

Il y aurait sans doute beaucoup à écrire sur cette situation qui ne peut que soulever des passions mais aussi des polémiques selon l’endroit où l’on se place. Il me semble que de nombreux services sociaux sont confrontés à cette problématique. Tout cela conduit à poser plusieurs questions.

  • En absence de preuves, les signes perçus et les intuitions sont-ils suffisants pour convaincre un juge du bien fondé d’une mesure de protection  et de mise à distance ? non
  • Comment protéger sans mesure judiciaire et sans parents coopérants ? on ne peut pas
  • Une mesure d’AEMO peut-elle suffire dans ce type de situation ? non

Le rapport du Défenseur des Droits conclut en proposant des mesures qui existent déjà :

  • il demande  une meilleure évaluation et une meilleure prise en compte des besoins fondamentaux des enfants :  C’est ce que prévoie la loi votée depuis les faits.
  • Il considère qu’il faut un meilleur partage d’informations et le décloisonnement des interventions : ce n’est pas le manque de partage qui empêche de protéger. Au contraire même : plus une information est partagée moins ceux qui la partagent se sentent concernés et agissent. Ils attendent que « les autres » qui ont l’information le fassent. C’est malheureux mais c’est comme cela. C’est le résultats des recherches du laboratoire de psychologie des Universités de Lorraine (Nicole Dubois)

Mais loin de condamner les services sociaux le défenseur des Droit se déclare « extrêmement inquiet des difficultés rencontrées par la protection de l’enfance pour faire face à ses missions, notamment en matière d’évaluation des situations. Dans certains départements, les délais d’exécution des mesures d’évaluation des informations préoccupantes sont de plus de plus longs, comme les délais de mise en œuvre des mesures judiciairement ordonnées, ce qui interroge sur l’effectivité de la protection des enfants » écrit-il

On ne ne peut à ce sujet le contredire. Bien que les faits remontent à plus de 15 ans, ce rapport que vous pouvez consulter ici, sera sans doute un élément à verser aux travaux des différentes commissions et groupe de travail émanant tant du Parlement que du Gouvernement. Ces groupe se réunissent en ordre dispersé pour tenter d’apporter des réponses à ces questions. Il faudra bien à un moment que soit posée  la question du manque de moyens humains sur le terrain.

 

photo : pxhere

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Une réponse

  1. Bonjour, effectivement le processus d’évaluation initiale dans le cadre de la protection de l’enfance reste peu efficient et les orientations demeurent restreintes et bien souvent non adaptée à la problématique du jeune. Souvent, les services d’accompagnement à domicile évalue difficilement la situation d’un enfant avant 6 ans par manque de professionnel formé en petite enfance. Par ailleurs, le processus de signalement ou d’information préoccupante reste trop dans une dynamique de se protéger professionnellement que de le réaliser au regard de la situation même. Et ne parlons pas de l’échange d’information entre les services du département et des services d’accueil et d’accompagnement qui demeurent bien souvent limité où nous découvrons des éléments essentiels après quelques mois. Quid des moyens de la prévention aujourd’hui ? Les professionnels s’épuisent à travailler avec des bouts de ficelles. Ils bricolent et s’épuisent à trouver du sens et de la cohérence dans le secteur de la protection de l’enfance.

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