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Savoir écouter, ne pas juger et être bienveillant : 3 aspects essentiels de la pratique du travail social

À l’heure des réseaux sociaux où l’on trouve de nombreux internautes qui s’invectivent et assènent leurs idées parfois assez nauséabondes, il est utile de rappeler quelques caractéristiques de pratiques en travail social. Il y en a beaucoup, mais, parmi celles-ci nous pourrions en retenir trois qui paraissent essentielles : écouter, ne pas juger, être bienveillant

Écouter

Écouter, c’est accueillir l’autre tel qu’il est. Derrière la banalité de cette affirmation, se cache une pratique hautement délicate et coûteuse pour celui qui l’exerce. Délicate parce qu’écouter semble la chose la plus naturelle au monde », nous disait Bruno Crozat dans un vieux numéro de Lien Social que j’ai retrouvé par hasard (n° 864 du 6 décembre 2007 !) « L’écoute, est un exercice professionnel difficile » et sa pratique exige une expérience qui se développe par la pratique. Elle requiert une certaine maturité et une bonne connaissance de soi afin d’éviter les risques d’interprétation et de jugement.

L’importance de l’écoute en travail social est notée par les personnes elles-mêmes. J’ai pu constater que les demandes de changement de travailleur social portaient fréquemment sur ce point : «  il ne m’a pas écouté », « on ne se comprend pas » « elle n’a pas compris ce qui m’arrive… » les reproches des personnes mécontentes de l’intervenant portent rarement sur des aspects techniques de gestion de telle ou telle demande. Elles portent majoritairement sur un sentiment d’incompréhension lié à une communication qui ne parvient pas à s’engager. Une écoute distraite, sans interactions.

Carl Rogers, qui est passé de mode, avait développé le concept d’écoute active dans le cadre de ses travaux. Cette pratique s’appuie sur plusieurs principes :

  • Respecter son interlocuteur, l’écouter sans à priori et considérer ce qu’il dit est vrai et important pour lui, quelle que soit la situation – même si elle peut nous sembler choquante. C’est la base de cette démarche humaniste. Cela implique aussi de savoir respecter le silence, moteur de l’expression des émotions qui s’expriment.
  • Ressentir une forme d’empathie qui consiste à savoir s’effacer pour être capable de se mettre à la place de l’autre. Comprendre l’autre alors qu’il nous parait souvent très différent n’est pas si facile. Comprendre ne veut pas dire cautionner.
  • Parler au cœur plus qu’à la raison, même si nous savons que la raison est essentielle dans la pratique. La nature humaine étant ce qu’elle est, il nous faut accepter la diversité des irrationalités. Il s’agira de les combattre plus tard si cela s’avère nécessaire.
  • Ne pas se montrer directif en s’abstenant dans un premier temps de donner tout conseil (les propositions viendront là aussi après)  Laisser la personne aller dans la direction qu’elle souhaite sans la brusquer ou orienter son propos.

 

L’écoute active suppose aussi de prendre le temps de la reformulation pour vérifier que l’on a bien compris ce que la personne nous dit. Bref la pratique est plus complexe qu’elle ne parait au premier abord.

Ne pas juger

Nous vivons actuellement dans une société qui nous invite en permanence à noter l’autre et le service qu’il rend. Des likes sur Facebook aux petites étoiles pour qualifier la qualité d’un produit ou du travail d’un artisan, nous sommes entrés dans l’ère de la notation. C’est en quelque sorte le jugement permanent avec tout son lot d’injustices.

Il est utile de pratiquer l’inverse. Juger est généralement une façon de catégoriser les personnes. Depuis longtemps des chercheurs ont démontré les effets néfastes de toute catégorisation en travail social. « Nombreuses sont les recherches qui montrent qu’on attribue facilement aux éléments d’une catégorie sociale des attributs considérés comme caractéristiques de cette catégorie. Cette tendance a des conséquences importantes sur nos jugements et nos comportements quotidiens. Elle peut s’avérer à l’origine de phénomènes de discrimination et de racisme ». Je vous invite à découvrir les travaux un peu anciens, mais toujours d’actualité de Nicole Dubois Professeur de psychologie sociale UFR Connaissance de l’Homme, Laboratoire de Psychologie des Universités Lorraines, Université Nancy 2. L’une de ses recherches porte sur les effets de la catégorisation. (même si le contenu de la vidéo parait austère, n’hésitez pas à la suivre attentivement, elle est très éclairante et parle des représentations des assistantes sociales). Elle dure 32 minutes.

Le sentiment d’être jugé est très fréquemment considéré par les personnes aidées comme rédhibitoire. L’absence de jugement est essentielle afin que la personne puisse être reconnue comme sujet à part entière. Celles et ceux qui font appel au service social sont généralement fragilisés. Ils peuvent se dévaloriser. Ils doutent d’eux-mêmes et de leurs compétences. Demander à rencontrer une assistante sociale n’est pas chose facile même si les professionnels et leurs institutions cherchent à banaliser une offre de service ouverte au plus grand nombre. Il parait donc nécessaire pour le professionnel d’avoir conscience de cette réalité afin qu’ils puissent développer des attitudes de prévenance et de bien traitance.

Être bienveillant

Veiller et bien veiller est le propre de celui qui se sent responsable d’autrui. C’est une capacité que tout le monde n’a pas, il nous faut le reconnaitre.  La bienveillance « attitude concrète dans les relations d’une personne avec une autre. C’est une disposition particulièrement favorable à l’égard de son interlocuteur » c’est aussi la «qualité d’une volonté qui vise le bien et le bonheur d’autrui« .
Cette attitude, à priori discutable s’accommode mal d’une relation de travail. Elle n’est pas à confondre avec une attitude paternaliste ni de domination. Une personne accompagnée ou un résident pourra par exemple faire lui aussi preuve de « bienveillance » envers son interlocuteur. C’est une posture éthique (faire le bien) qui fait appel à un savoir être peu pris en compte en droit du travail bien qu’elle soit de plus en plus utilisée (parfois à tort et à travers) en management.

C’est un positionnement professionnel.  Il est relié à la question du «bien-être», qu’il soit émotionnel ou psychologique, ou encore lié à l’environnement. Il préfigure la construction d’une relation de confiance, sans à priori. Cette confiance « à priori » ouvre la voie à l’écoute et la compréhension de la situation. Elle s’inscrit dans la logique du « care », du prendre soin notamment des personnes les plus fragiles.

Ces trois positionnements ne sont pas simplement des techniques. Ils ne s’apprennent pas dans les manuels. Ils se pratiquent. Ce savoir être professionnel est souvent abordé lors des stages et dans les mises en situation réelles de travail. D’où l’importance d’une présence active des formateurs de terrains qui dans leur très grande majorité savent bien de quoi il est question.

Bonus : Quelques citations de Carl Rogers qui me plaisent bien

  • « Je me sens plus heureux d’être moi-même et de laisser les autres être eux-mêmes. »
  • « L’individu représente un processus digne du plus profond respect, tant pour ce qu’il est que pour son potentiel. »
  • « Dans mes relations avec les gens, j’ai trouvé que cela n’aide pas, à long terme, d’agir comme si j’étais quelque chose que je ne suis pas. »
  • « Être empathique, c’est voir le monde à travers les yeux de l’autre et non notre monde reflété dans ses yeux. »
  • « Les êtres humains ont la capacité, latente ou manifeste, de se comprendre et de résoudre suffisamment leurs problèmes pour atteindre la satisfaction et l’efficacité nécessaires à un bon fonctionnement. » 
  • « Plus un individu est compris et accepté, plus il est susceptible de lâcher les fausses défenses qu’il a utilisées pour affronter la vie, et d’avance sur un chemin constructif. »
  • Aimer la personne pour ce qu’elle est, lâcher prise sur les tentatives de ce que je veux qu’elle soit, lâcher prise sur mon désir de l’adapter à mes besoins, est une manière beaucoup plus difficile, mais plus enrichissante de vivre une relation intime satisfaisante.  »
  • « Les gens sont aussi beaux qu’un coucher de soleil quand nous les laissons faire. En fait, peut-être pouvons-nous profiter d’un coucher de soleil précisément parce que nous ne pouvons pas le contrôler. Orange dans le coin droit, mettez un peu plus de rouge violet à la base et utilisez un peu plus de rose sur ce nuage. Je ne fais pas ça. Je n’essaie pas de contrôler un coucher de soleil. Je regarde son évolution avec admiration ».

 

Bon je sais, ça fait un peu Bisounours, mais que voulez-vous, on ne se refait pas !

 

 

Photo créée by yanalya – www.freepik.com

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2 Responses

  1. Merci de votre message Anne, et de votre apport avec ce lien. Je ne suis pas sûr d’être sur la même longueur d’onde que Dominique Depenne sur « la bonne distance ». Mais bon encore faut-il être certain que nous parlons de la même chose ! Vous intervenez à l’ITES de Brest, c’est super. J’apprécie cette structure qui est dans mon imaginaire un « village gaulois  » breton (dans le bon sens du terme) qui résiste plutôt bien aux logiques économiques de concentration des moyens à l’aune de la rentabilité économique et de l’entrepreneuriat social. Quant au film debout les femmes, un beau moment à venir sans aucun doute !

  2. Merci du fond du cœur pour vos publications quotidiennes que je lis au petit déjeuner. Je suis assistante sociale à la Caf après 27 ans de travail dans les centres sociaux. J’interviens un peu à l’ITES de Brest. Cette année j’ai corrigé des fiches de lecture et j’ai découvert l’essai philosophique d’un éducateur : Dominique Depenne sur « la bonne distance ». C’est un livre très difficile. Le résumé sur le site lien social est bien fait, mais il n’aborde pas le dernier chapitre sur Auschwitz qui est troublant si l’on pense à la déshumanisation des liens entre « les administrations » et les usagers/citoyens.
    https://www.lien-social.com/Distance-et-proximite%CC%81-en-travail-social
    Je voulais partager ces références avec vous en lien avec votre article de ce matin.
    Mais je vois aussi beaucoup de solidarité et des gens qui relèvent la tête après une épreuve. Le 8 mars je participe avec une collègue du service à une soirée ciné-débat autour du film Debout Les Femmes ! Un bon moment en perspective. Bonne journée

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