Enfants placés : dans un service « en déliquescence », des éducateurs en colère après une agression
Dans le XXe arrondissement de Paris, les professionnels, qui ont de plus en plus de mal à mettre les mineurs à l’abri, dénoncent une situation intenable. Un appel à la grève a été lancé après l’hospitalisation d’une de leurs collègues, blessée dans une altercation avec une adolescente. Des éclats de voix et le fracas du verre brisé alertent une travailleuse sociale qui, dans la confusion, est « blessée à la main » : une « veine sectionnée », selon des sources syndicales. Elle a été « hospitalisée » puis « opérée » le lendemain, le jeudi 20 octobre. Plusieurs membres du service interrogés par Clotilde de Gastines et Hugo Lemonier ont confirmé ces informations publiées par le journal en ligne Médiapart.
Les circonstances de cet incident qui n’est pas sans conséquences restent encore inexpliquées. Les journalistes indiquent que les syndicats et le personnel de l’Aide Sociale à l’Enfance parlent d’un « passage à l’acte violent » qui « ne visait pas [leur] collègue ». À ce stade, aucune plainte n’aurait été déposée, d’après les informations recueillies par les journalistes. Dès le lendemain de l’altercation, « la totalité du service » s’est mise en grève, selon les syndicats, pour dénoncer « l’absence de réaction » de la Ville de Paris, précisent-ils.
Cela ne date pas d’hier, depuis quelques années, les locaux administratifs de l’ASE se sont transformés en un carrefour de l’errance. « Ces jeunes arrivent vers 9 heures du matin avec leurs affaires, raconte Amélie (prénom changé), une travailleuse sociale du service. On passe la journée au téléphone pour trouver une solution pérenne et adaptée à leurs besoins. Mais, le plus souvent, on ne leur trouve un point de chute que pour une nuit, dans un foyer d’urgence ou à l’hôpital… Et le lendemain, ils sont de retour dans nos bureaux. ». Cette réalité m’avait aussi été confiée par une collègue de l’ANAS qui m’avait aussi expliqué que des réseaux mafieux tentaient de récupérer les jeunes directement au pied de l’immeuble. (lire l’article de Médiapart)
Une journée typiquement atypique
Ne manquez pas ce superbe récit publié sur le site de Lien Social. A.G est éducateur spécialisé, il nous raconte sa journée dans le détail. En voici un court extrait. Il nous parle de K., « un jeune de 12 ans, qui revient de fugue. Il a dormi chez sa mère qui avait prévenu la police. Mais ce matin, elle lui a confisqué son poing américain, du coup K. est reparti en fugue. Il arrive, surexcité. En effet, K. est sous Risperdal, un cachet antipsychotique qu’il n’a pas pris depuis trois jours. K rencontre alors R., un fugueur de 13 ans qui a parcouru la moitié de la France, ce dernier mois. K. et R. ensemble, ça fait un mélange un peu explosif. Du coup, ils décident de partir ensemble en fugue, c’est tellement mieux à deux. Sauf que ma collègue et moi, on avait trouvé un séjour de rupture pour K., parce qu’en plus des fugues, il y a eu des vols, des passages à l’acte violent, etc. » …/…
« Je pars donc à la recherche de R. et de K. » nous dit notre vaillant éducateur. « Je tourne en ville, vers la gare. Personne. La mère de K appelle : « mon fils et un autre jeune sont chez moi, ils veulent que je leur rende le poing américain ». OK, Madame, j’arrive. Oui, mais justement, « avant de partir, voilà que L., jeune fille de 15 ans, se réveille enfin. Il est 11 h. Elle se met à hurler, à répéter le chiffre 62 et à parler de sa mère, voire même à sa mère. L. fait encore une crise de schizophrénie. Si c’était la première, on serait surpris, mais non. Elle a déjà parlé à des arbres, les a enlacés, elle s’est embrouillée avec son miroir… Elle ne sait pas quel jour on est et l’heure de la journée. Comme moi, vous n’êtes pas psy, mais vous vous dites bien qu’il y a un souci. …/…
Retour au foyer, les pompiers sont là. On leur explique notre souci avec cette jeune qui est en fugue 26 jours par mois. Le peu qu’on la voit, son état psychique nous inquiète vraiment. On pense que sa place est à l’hôpital. Le pompier appelle le médecin régulateur. Comme les trois premières fois, ce dernier refuse la prise en charge, puisque « la crise est passée ». J’en conclus que si quelqu’un se fait renverser et à la jambe ouverte, il dira « l’accident est passé ». Logique, non ? …/…
En conclusion, A.G. nous dira que c’est une journée qui peut rendre fou si on n’est pas sûr et certain que sans nous, la société irait encore plus mal. C’est une journée qui épuise, qui affaiblit, qui blesse parfois. C’est une journée où on se dit que l’hôpital ne fait pas son travail, que l’école ne tient plus rien, que la protection de l’enfance est à l’abandon. C’est une journée où l’on doute, où l’on se dit que nos enfants vont grandir dans une société difficile où les gens souffrent de plus en plus. (N’oubliez pas de lire l’intégralité de cet excellent témoignage publié par Lien Social)
« Au moins 706 personnes sont mortes de la rue en 2021 »
Selon le collectif Les morts de la rue, depuis 2012, (en 10 ans), 5.508 personnes qui sont décédées des conséquences de leur existence passée dans la rue. Elles ont été au moins 706 à mourir de la rue en 2021. Ce triste décompte est à mettre à l’actif du collectif Les morts de la rue. Dans son dixième rapport « Dénombrer et Décrire », il présente un recensement « non exhaustif », comme le précise sur France Info, Julien Ambard, épidémiologiste au sein du collectif.
« 39% des décès sont survenus dans la rue, dans le métro, dans un square, dans un parking ; 30% dans un établissement de soins et 12% dans un squat, une voiture, une cabane, dans les parties communes d’un immeuble, dans un garage, dans une cave », détaille le rapport. On apprend aussi dans ce rapport que les jeunes âgées de 18 et 25 ans ne sont pas épargnés : il a été dénombré 185 décès de 2012 à 2021, avec une tendance à la hausse pour cette classe d’âge. La plupart des décès chez les moins de 18 ans sont survenus à l’hôpital (41%). Dans 29% des cas, ils sont survenus dans l’espace public et pour 17% dans un abri ou un campement. 7% ont eu lieu dans une structure d’hébergement.
Rappelons à l’occasion de la publication de ce rapport que le Collectif Les Morts de la Rue (CMDR) a été créé en 2003 par des travailleurs sociaux et des personnes en situation de rue. Les objectifs du collectif sont de rappeler que vivre à la rue mène à une mort prématurée et que tout être humain a droit à des funérailles dignes. Le collectif dénonce aussi les causes des décès et accompagnent les personnes en deuil. Le collectif compte désormais une équipe de professionnels salariés et intervenants indépendants, avec aussi jusqu’à 6 volontaires en Service Civique et plus de 150 bénévoles.
(Lire l’article de France Info) (Télécharger le rapport « Dénombrer et décrire Xème édition »), (Télécharger la synthèse du rapport)
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Bonus : la lettre do collectif Alerte à Olivier DUSSOPT, Ministre du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion et à Thibaut GUILLUY Haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises. C’est au sujet de la concertation et préfiguration de France Travail, en remplacement de Pôle Emploi
Vous êtes allé(e) au bout de cette revue de presse ? Bravo et merci ! Merci aussi à Michelle Flandre qui m’a aidé à la réaliser.
photo : Gratisography