En mars 2017, le Haut conseil à l’égalité s’était auto-saisi de la problématique des violences dont sont victimes les femmes sur internet, que ce soit via les réseaux sociaux ou les applications mobiles. Quatre ans plus tard, les difficultés demeurent. Certains outils numériques sont devenus des moyens qui permettent de harceler, de dénigrer. Mais ils sont aussi utilisés pour surveiller celui ou celle (plutôt celle d’ailleurs) qui est victime d’un conjoint jaloux, suspicieux qui s’arroge l’autre comme sa propriété qu’il faut à tout prix contrôler.
Neuf femmes sur dix victimes de violences conjugales ont également fait l’objet de cyber-contrôle de la part de leur partenaire.
Ainsi le cyber-contrôle est subi par 93% des femmes victimes de violences conjugales. Il consiste à connaître et vérifier régulièrement les déplacements et relations sociales de sa partenaire.
Une définition nous en est donnée par le Haut Conseil à l’égalité : il « désigne l’emprise qu’exercent les agresseurs sur leurs victimes par les outils numériques. Il se traduit par exemple par le fait, de la part de l’agresseur, de localiser sa conjointe en permanence, de connaître chacun de ses faits et gestes avec la volonté de contrôler chaque pan de sa vie ».
Ce que demande le « Cyber-contrôleur ».
Il faut d’abord bien comprendre que la victime est enfermée au fil du temps dans un huis clos symbolique, mais aussi réel. Le conjoint lui demande sans cesse de justifier ses actes, ses déplacements, ses rencontres et plus largement de ses activités. Cela prend une grande énergie à chacun. À force de se justifier, la personne contrôlée a le sentiment de devenir transparente. Elle peut « résister » dans un premier temps, mais généralement elle cède progressivement du terrain et lâche prise. Elle estime alors qu’elle n’a plus rien à cacher, mais aussi que rien ne lui appartient. Tel un animal en laisse, elle ne peut aller où bon lui semble et doit développer des trésors d’imagination pour « voler » un moment, souvent court, qui lui appartienne réellement.
Je me rappelle ainsi cette femme qui était venue à ma permanence un jour de marché, car elle était censée faire ses courses. La permanence sociale était à proximité des étals. Son déplacement était indécelable. Elle était stressée et ne disposait pas de temps. Elle regardait sans cesse vers la porte d’entrée, s’imaginant sans doute que quelqu’un la connaissant allait rentrer. Elle allait avoir à se justifier. Son stress était palpable. Je n’avais qu’eu le temps de lui communiquer le numéro masqué de SOS femmes (ou du CDIFF je ne m’en souviens plus) et, comme un idiot, je n’avais même pas pensé lui demander comment la recontacter sans risque pour elle. Tout était allé si vite, elle n’avait pas voulu me donner son nom et je pense que le fait d’être un homme n’avait pas facilité cette première prise de contact.
Revenons sur le comportement du cyber-contrôleur (qui est de fait un cyber-harceleur). Je me suis référé à ce guide publié en novembre 2012 par l’association britannique Networkfor Surviving Stalking et la fédération Women’s Aid Federation of England qui détaille le processus de surveillance. Il s’adresse aussi bien aux femmes victimes de harcèlement et de cybercontrôle qu’aux associations qui les accompagnent, mais il est en anglais.
Alors comment agit le conjoint avec les outils numériques ?
- Il commence à vouloir savoir à qui vous envoyez des textos, des e-mails et ce que vous envoyez. Il est suspicieux, parfois même parano.
- Il vous contacte à de nombreuses reprises dans la journée et vous demande ce que vous faites, en vous demandant de confirmer l’endroit où vous êtes.
- Il a l’air de savoir quand vous vous trouvez à un endroit inhabituel. Dans ce cas, il est possible qu’il ait installé un logiciel de géolocalisation sur votre téléphone.
- Puis il commence à vous envoyer des textos agressifs, voire menaçants, car il s’énerve très vite si vous sortez du cadre qui déroge aux habitudes
- Comme il est suspicieux, il commence à contacter vos ami.e.s ou votre famille pour vérifier ce que vous leur dites ou si ce que vous lui avez dit est bien réel. Il cherche aussi à obtenir des informations sur vous. Il peut aussi vouloir détériorer vos relations avec vos amis (s’il vous en reste) ou votre famille.
- Il commence à répandre des rumeurs sur vous, à poster des commentaires embarrassants et violents en ligne via les réseaux sociaux et/ou les forums.
- Il a l’air de connaître des informations que vous ne lui avez pas dites ou de savoir ce que vous faites en ligne, comme les sites internet que vous consultez, les personnes avec lesquelles vous discutez en ligne ou celles à qui vous avez envoyé des e-mails. Dans ce cas, il est possible bien évidemment qu’il ait installé un logiciel espion sur votre ordinateur.
- Il vous a demandé vos mots de passe. Si vous lui avez donné, il en prend le contrôle en les modifiant et vous les attribuant quand il le souhaite. Il en est devenu propriétaire.
- Vous trouvez des mails marqués comme lus alors que vous ne les avez pas ouverts, (bien qu’il lui est possible de les rendre « non lus »). Vous découvrez des messages envoyés de votre compte alors que vous ne les avez pas rédigés.
- De l’argent peut aussi commencer à disparaître de votre compte en banque. Vous découvrez des virements que vous n’avez pas opérés.
- Des informations disparaissent comme par magie de vos appareils tels que les numéros de téléphone de vos ami.e.s, des fichiers de votre ordinateur ou des mails.
- etc., etc.
Tout cela parait excessif ? Pourtant, cela ne l’est pas vraiment, car le processus de prise de contrôle de l’autre est progressif. Un peu comme dans l’histoire de la grenouille qui est dans une marmite et qui se laisse progressivement ébouillanter. Ce qui est inacceptable au début devient acceptable au fil des petits renoncements de la victime qui, rappelons-le, est aussi sous emprise psychologique.
Pour aider, il faut aussi se former
Fort heureusement, comme toute personne, une victime peut à un moment développer une réaction de survie. Et là, il est très important que vous soyez à l’écoute, sans jugement et que vous ayez été formé(e) pour pouvoir répondre en évitant des erreurs de débutants.
L’écoute et la prise en compte des femmes victimes de violence ne s’improvisent pas. Il faut réellement bien connaitre les processus et avoir travaillé sur son propre mode de relation pour espérer répondre efficacement à une personne qui vit une telle pression. Il leur faut beaucoup de force pour chercher à se sortir d’une telle relation toxique et malheureusement cela reste un long parcours fait d’aller-retours qu’il vous faudra bien accepter…
Quelques articles sur ce sujet :
- L’effrayant constat des cyberviolences conjugales : mesurer et comprendre le phénomène
- La cyberviolence contre les femmes (et certains hommes) ne sont pas virtuelles, elles sont bien réelles
- « Comprendre et maitriser les excès de la société numérique » (mon livre)
- En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes (rapport public)
- Lutte contre les violences faites aux femmes : à vos smartphones citoyennes ! (Elle)
et aussi
- J’ai besoin d’aide
- Comment effacer mes traces sur internet ?
- Outils de formation : accueillir une femme victime de violences
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