Être travailleur social demande non seulement une forte capacité d’adaptation mais aussi de savoir développer une « intelligence de situation » tout à fait particulière. Les travailleurs sociaux font également preuve d’habiletés spécifiques qui leur permettent de trouver des réponses et de résister à l’adversité. Ils sont des « mètis ». Dans l’antiquité grecque, la mètis désignait les ruses de l’intelligence, la « prudence avisée ». La mètis consiste en particulier à savoir « se mettre dans la peau de l’autre », à adopter un instant sa « vision du monde » pour imaginer ce qu’il ne va pas voir, ce qui va lui échapper. Une condition nécessaire au déploiement de la mètis est le plus souvent la nécessité de trouver une solution face à une situation « insoluble ». C’est aussi un mécanisme de survie.
Or que font les travailleurs sociaux au quotidien ? Ils analysent, tentent de comprendre la personne ou la famille qu’ils aident dans le respect de principes éthiques tout en mettant en œuvre des stratégies assez élaborées. Pour cela ils font appel à l’art de la Mètis dont les caractéristiques ont été décrites par le sociologue Michel AUTES dans son ouvrage « Les paradoxes du travail social ». Cristina De Robertis a repris ce concept dans un article publié dans la revue Française de Service Social 1. En effet, les travailleurs sociaux ont à faire avec la complexité des situations et les incohérences et illogismes du comportement humain. Ils doivent à la fois concilier les demandes institutionnelles et répondre à celles des personnes qu’ils rencontrent. Ils sont au cœur des tensions de la société et qui se révèlent dans les comportements de chacun. Appréhendée comme une technique d’influence indirecte, la ruse joue aussi un rôle en psychiatrie (École de Palo Alto) et est analysée en psychologie sociale (théorie de l’engagement). Mais attention c’est une notion controversée sur le plan éthique.
Quels sont ces pouvoirs de METIS que Michel AUTES compare à ceux du travail social ? METIS prend de multiples visages et incarne le domaine de l’intelligence pratique, de la logique de l’action par opposition à Logos qui incarne la vérité, le savoir et l’ordre du monde.
Comme le précise Cristina de Robertis, tout l’art de Métis s’organise autour de sept thèmes :
1. La force du faible : la tactique est diffuse, elle joue de la force et de la lourdeur de l’adversaire comme dans certains combats d’arts martiaux. La force du faible est faite de résistance, de détournement et à l’occasion aussi d’offensive.
2. L’art du bon moment : le moment opportun et favorable, choisir l’occasion, agir lorsque la conjoncture s’y prête. Comme dans le jeu d’échecs, jouer au bon moment le coup qui, sans enfreindre les règles, fera basculer la partie.
3. L’art du timonier : la capacité à conduire dans un environnement dangereux, de guider le bateau à travers les récifs dangereux, suivre chaque fois un chemin différent. C’est l’art d’esquiver, de contourner, mais de poursuivre son chemin dans la bonne direction.
4. Etre insaisissable : METIS n’a pas de lieu propre, elle est partout. C’est la ruse, l’habileté, l’art du négociateur. METIS ne ment pas, mais elle ne dit pas forcement la vérité, pas toute la vérité, pas toujours…
5. Le savoir faire du métier : METIS sait utiliser des « trucs », jouer des tours, elle connaît et maîtrise son art. C’est la compétence de l’artisan à la fois technicien et artiste.
6. Faire des liens : la puissance de Métis, c’est l’art de mettre en relation, d’articuler, de faire se rejoindre, d’utiliser et de promouvoir les réseaux.
7. L’art du forgeron : faire plier le fer par le feu, créer l’outil, transformer la matière, imprégner de son sceau l’amélioration de la vie quotidienne.
Cela vous parle, bien évidemment. Pour autant le philosophe Platon condamne la Mètis, car ses expressions semblent toutes aux antipodes des vertus que la Cité des Lois exige de ses citoyens. pourtant l’Art de la Mètis existe « à bas bruit », il ne se communique pas ni ne s’enseigne, c’est un réponse qui vise à permettre de survivre dans un monde incertain dont la principale caractéristique est de se construire sur des incohérences et des injonctions paradoxales.
Évidemment cette vision peut être difficilement entendue par ceux qui vous gouvernent et tout cela bien entendu reste entre nous !
1 L’art de la METIS : Article publié dans la Revue Française de Service Social N° 230 – 2008 – 3
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