La protection de l’enfance est un domaine très sensible qui nécessite une communication transparente et efficace. Oui, mais voilà, les professionnels qui interviennent dans les établissements accueillant des mineurs sont tous soumis au secret professionnel. Or aujourd’hui, ne pas communiquer, notamment lorsqu’une crise survient, se retourne automatiquement contre l’établissement et ceux qui y travaillent. C’est pourquoi il est essentiel pour les établissements de ce secteur de bien communiquer. Le GEPSo, groupe national des établissements publics, sociaux et médico sociaux a édité des fiches « réflexes » qui aborde ce sujet du point de vue juridique. Plusieurs principes sont à prendre en considération.
Responsabilité et redevabilité
Les établissements de protection de l’enfance ont la responsabilité d’assurer la sécurité et le bien-être des enfants dont ils ont la charge. C’est une évidence. À ce titre, ils ont la nécessité de protéger le droit à la vie privée des enfants et des adolescents accueillis. C’est pourquoi, il est recommandé de ne pas favoriser de contacts directs entre un journaliste et des enfants ou des adolescents.
Pour autant, les établissements ont des comptes à rendre aux autorités, aux familles et à la société sur la manière dont ils remplissent leur mission. C’est pourquoi une communication ouverte et régulière peut être utile pour de démontrer l’engagement et le professionnalisme de celles et ceux qui ont pour mission de protéger les enfants. Cela concerne tous les professionnels, mais aussi les éventuels bénévoles susceptibles d’intervenir au sein de l’établissement.
Cela veut dire qu’il est utile de nouer des contacts avec la presse locale hors situation de crise. Les contacts peuvent se nouer lorsque l’établissement organise une manifestation particulière ou s’associe à un partenariat qui nécessite de communiquer. En effet, la confiance du public est essentielle. Une communication « proactive » permet de rassurer la population sur la qualité des services offerts et de dissiper les idées reçues, car il y en a beaucoup ! Cela contribue à valoriser l’image de ces structures auprès de la population.
Mais alors comment agir ? Les fiches du GEPSo sont particulièrement intéressantes pour répondre à cette question. Elle propose pas moins de 12 recommandations et retours d’expériences. Ils sont présentés par l’avocat Benoît Huet, spécialiste en conseils sur la communication en temps de crise.
Voici en résumé deux questions posées et les réponses apportées :
Comment concilier ma volonté de communiquer et d’ouvrir mon établissement tout en respectant mon obligation de protection et de secret professionnel ?
Certains reportages sensationnalistes ont pu refroidir les ardeurs communicantes de certaines structures médico-sociales. En effet, elles sont soucieuses de respecter leur devoir de protection et de secret professionnel. Un juste équilibre est à trouver. Pourtant, « Il existe un intérêt réel pour les établissements à fournir aux journalistes des éléments sur la réalité de leur travail, sans quoi l’expérience du terrain risque d’être occultée du débat public, ce qui serait dommageable », explique Benoît Huet.
La conciliation est possible en choisissant scrupuleusement les informations communiquées et en anonymisant certains éléments. Les directeurs doivent aussi s’assurer que les captations d’images et paroles ne violent pas les droits des personnes. Si la prudence reste de mise face aux sollicitations médiatiques, l’ère est à la « communication maîtrisée ». « Ce risque apparaît indispensable et nécessaire aujourd’hui », estime cet avocat qui recommande d’établir un dialogue en amont avec les directions de communication sur les pratiques de chacun.
Puis-je refuser une demande d’interview ? Ou encore certaines modalités de reportage ? Puis-je demander les questions qui me seront posées pour préparer ma présentation ?
Toute personne est libre de donner ou non une interview. La liberté d’expression, qui est une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de ne pas s’exprimer. Ainsi, les professionnels du social ou du médico-social peuvent refuser de s’exprimer face aux sollicitations des médias. Cela peut avoir des conséquences et il faut pouvoir les évaluer rapidement.
Face à une demande d’interview, ces professionnels peuvent poser leurs propres conditions. Ils peuvent par exemple n’accepter de répondre qu’à des questions écrites, refuser une prise de parole en direct ou demander un entretien privé plutôt qu’une interview filmée. Ils peuvent également s’informer auprès du journaliste sur l’angle de l’interview, les sujets qu’il souhaite aborder ou les questions qu’il prévoit de poser.
Pendant l’interview, il est également possible de refuser de répondre à une question. Mais attention, une fois l’interview accordée, il n’est généralement pas possible de demander un droit de regard ni de correction sur le contenu final. C’est là que se pose la question de l’éthique du journaliste et surtout de la qualité du média qu’il représente.
Répondre à un interview, demande de bien maitriser son sujet et de bien savoir jusqu’où aller dans les réponses. Notamment si les questions sont intrusives ou biaisées. C’est pourquoi, il faut se préparer à avoir à répondre à une « question qui fâche ». Lorsque j’étais journaliste (et oui je n’ai pas été que travailleur social) on m’avais appris à poser des questions déstabilisantes, non pas pour piéger mon interlocuteur, mais pour l’obliger à sortir de la langue de bois caractéristique des communications institutionnelles. Rien ne vaut que l’expression d’un vécu, our l’interviewé parle de façon authentique sans avoir à réciter des éléments de langage prédigérés.
Une technique utilisée par les hommes politiques consiste à ne pas répondre directement à la question posée. Il s’agit pour lui de réorienter l’entretien sur un sujet connexe qu’il maitrise tout en restant factuel et concis dans les réponses.
Des réponses à des situations concrètes qui ont été vécues
D’autres questions tout autant intéressantes sont posées dans la fiche technique du GEPSo. Les réponses sont d’autant plus intéressantes qu’elles reposent sur des expériences vécues dans certains établissements. Elles peuvent concerner d’autres établissements que ceux qui relèvent de la protection de l’enfance. Voici les questioins abordées :
- Je ne reconnais ni mes propos ni mon établissement dans l’article ou le reportage diffusé ? Que faire si les extraits ne correspondent pas au sens de mon interview ou si l’article ne rapporte pas fidèlement mon propos ?
- L’établissement a demandé une intervention des forces de l’ordre ou des pompiers. L’intervention arrive avec une caméra embarquée. Puis-je refuser la présence de cette caméra ? Les forces de l’ordre ou les pompiers ont-ils le droit de « raconter » leur intervention à la caméra, une fois celle-ci terminée ?
- J’aurais voulu être interviewé ou pouvoir m’expliquer sur les faits évoqués, mais j’ai été contacté la veille de la publication du reportage par un simple email ?
- Ai-je des recours possibles à l’encontre d’une publication ou d’une diffusion dans un média ?
- Mes propos ont été enregistrés à mon insu. Peuvent-ils être utilisés par des journalistes et m’être nommément attribués ? Est-il possible d’utiliser une caméra cachée dans mon établissement ?
- Un professionnel peut-il exprimer un dysfonctionnement ou des faits de violence auprès des médias sans avoir informé la direction de ces faits et procéder aux signalements réglementaires ?
- Un journaliste infiltré qui est témoin de faits de violence ou d’une infraction dont je n’ai pas eu connaissance comme directeur/trice doit-il me prévenir immédiatement ou les forces de police ou peut-il attendre la diffusion de son reportage ?
- Les enfants, leurs parents et les professionnels de mon établissement peuvent-ils apparaître à visage découvert sur un reportage ?
- Un enfant qui a figuré dans un reportage pourrait-il ensuite revenir sur cette publication quand il sera adulte ?
- Quelles possibilités pour contrer des publications sur les réseaux sociaux ? Par exemple, que faire si l’agression d’un jeune accueilli est diffusée sur Periscope avec l’ensemble des personnes (enfants et professionnels) identifiables ? Par ailleurs, comment interrompre la diffusion d’images d’enfants dénudés lorsqu’elles sont partagées sur Snapchat ou Facebook
Ces retours d’expérience sont très intéressants et je ne peux que vous recommander de prendre connaissance de ce travail remarquable de clarification.
Enfin, quelques conseils essentiels pour « bien communiquer »
Pour communiquer efficacement, les établissements de protection de l’enfance devraient à mon sens :
- Définir une stratégie de communication claire et cohérente avant d’être, en quelque sorte, soumis à des questions dans l’urgence.
- Pour cela il faut savoir utiliser des canaux de communication adaptés (prises de contact préalable, publication dans un site web, usage des réseaux sociaux, contacts avec la presse locale, etc.) Pour ma part, je pense que l’usage des réseaux sociaux est à manier avec une grande précaution. Un retournement de situation est vite arrivé. La haine en ligne et la démagogie se développe via ces médias. Soyons cohérents. Une communication institutionnelle sérieuse n’intéresse pas des supports qui s’alimentent avec des informations clivantes. Seul LinkedIn me parait suffisamment régulé.
- Il ne faut pas hésiter à impliquer les différentes parties prenantes dans vos actions de communication. Souvent ce sont vos partenaires qui parlent le mieux de vous !
- Bien évidemment, il est recommandé d’adopter autant que faire se peut un ton bienveillant, rassurant et valorisant. Je dirais même, qu’il est nécessaire de garder en tête la dimension humaine de la relation. Être sincère est un atout non négligeable et cela transpercera dans vos propos.
- Il s’agit aussi d’être suffisamment transparents sur vos pratiques et sur ses effets. Il ne s’agit pas de se mettre à nu, mais de ne pas éluder la nécessité de pouvoir assumer ce qui se pratique au sein de l’établissement. Cela vous oblige à faire cesser très rapidement toute pratique qui ne respecte pas un cadre éthique bien défini.
- Enfin, il ne faut pas hésiter à communiquer de manière régulière et proactive, c’est à dire avant que vous y soyez obligé(e)
En suivant ces conseils, les établissements de protection de l’enfance pourront renforcer leur légitimité, leur crédibilité et leur impact auprès des enfants, des familles et de la société.
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