Voici le témoignage d’une collègue assistante sociale qui nous parle de sa pratique professionnelle, en vue de favoriser l’implication ou du moins la participation à des actions collectives les personnes qu’elle accompagne de façon individuelle. Cette collègue très engagée, donne à voir sa façon d’agir ainsi que ses observations sur les effets de cette participation aux actions collectives sur les personnes elles-mêmes. Elle nous parle d’une situation qui l’a particulièrement marquée.
Cette assistante sociale, Marie-Odile que je remercie ici, a toujours articulé dans sa pratique, action individuelle et action collective. Pour elle, « c’est naturel et évident ».
« Je rencontre régulièrement une personne assez particulière. On ne peut pas du tout voir le visage. Elle a une frange de cheveux qui lui couvre littéralement les yeux. Cela donne une impression bizarre lorsqu’on la rencontre. C’est une personne qui ne s’occupe pas de son image ni du malaise qu’elle peut renvoyer. Sa priorité est d’assurer son minimum vital, manger, garder son logement. Je la rencontrais uniquement pour cela et pour elle, il n’était pas question de parler d’insertion sociale et encore moins d’insertion professionnelle. Bien sûr, c’est quelqu’un de très fragile et il a fallu de nombreux entretiens pour que l’histoire de cette frange de cheveux vienne sur le tapis et devienne entre nous une sorte de défi.
Elle allait tellement mal cette femme ! Je lui avais proposé de venir avec moi à la journée collective « être bien, agir malin » en lui disant que j’y participais aussi, que j’avais pensé que cela pouvait peut-être l’intéresser et que ce serait pour elle une bonne occasion de rencontrer de nouvelles personnes et de se rendre compte par elle-même si cela pouvait lui apporter quelque chose. Et puis, je lui avais précisé qu’il y avait dans cette manifestation une coiffeuse et une esthéticienne qui pouvait gratuitement lui donner des conseils… Et même lui couper les cheveux ! En fait je ne croyais pas qu’elle viendrait. Sur le coup, elle n’avait pas répondu à ma proposition. Et puis, à ma grande surprise, elle est arrivée. Elle avait fait le déplacement, elle-même (la manifestation se trouvait dans une commune rurale un peu éloignée).
Après le temps qu’elle fasse le tour des stands, je suis allée la voir. J’étais ravie et en même temps étonné. C’est comme cela tout simplement qu’elle a décidé de couper sa frange de cheveux que l’on a pu commencer à voir son visage. C’est elle qui a décidé de le faire. Pas pour nous faire plaisir mais parce que son acceptation de rencontrer d’autres personnes lui a rapidement donné l’envie de « changer » de tête. Sans doute y avait-elle réfléchi avant, mais elle était prête à le faire. Ensuite on a pu reprendre cela ensemble de façon individuelle. Une amorce de désir de quelque chose pour elle est apparue. Et c’était gagné. Nous avons pu ensuite aller plus loin. J’ai l’impression d’un bond en avant, d’un pallier franchi dans cette situation qui peut apparaître banale, mais qui finalement ne l’est pas du tout. Cette action collective co-construite avec des personnes qui venaient au Centre Médico-Social avait été utile à une personne comme elle, qui n’était, a priori pas prête à y participer
« – Qu’est-ce que vous aviez apporté à votre avis à la personne aidée et qu’est-ce que cela provoque pour vous ? »
« Il faudrait lui demander directement. D’abord, cela permet de sortir de la dualité, d’appréhender la personne de façon différente. Les gens qui viennent nous voir ne nous présentent que des problèmes qu’ils jugent insurmontables sans l’apport d’un tiers. Ils ne viennent jamais nous voir par plaisir. Donc nous avons une image d’eux assez partielle et nous ne pouvons pas vraiment nous appuyer sur leurs potentialités, car nous avons du mal à les percevoir. Elles restent dans la parole et dans ce qui est convenu de dire à l’assistante sociale pour obtenir une aide souvent financière. Leur participation à des temps collectifs nous permet de nous centrer sur les potentialités de chacun. C’est beaucoup plus valorisant pour la personne. »
« – Qu’est-ce que cela vous apporte en tant qu’assistante sociale ? »
« Pour moi ? En tant que professionnelle, c’est aussi s’ouvrir aux autres et sortir de la « toute puissance » de l’expert. Cette « toute puissance » ne favorise pas l’autonomie de la personne. L’action collective nous permet aussi de sortir de certaines impasses dans lesquelles nous nous trouvons parfois avec les personnes. Elle change aussi le regard de l’usager sur nous même. Je repense à une dame qui m’a dit qu’elle ne pensait pas qu’une assistante sociale pouvait rire comme ça tellement elle voyait des situations difficiles. Comme si nous étions des êtres à part… ». « Pour nous, c’est aussi accepter de nous montrer telles que nous sommes. Il n’y a pas le bureau pour nous protéger. Il y a une réciprocité dans le regard de l’un par rapport à l’autre avec les présences de tiers multiples ». « Et puis il y a aussi le travail avec les partenaires, la diversité des publics, les usagers bien sûr mais aussi les bénévoles. Nous démultiplions ainsi nos capacités d’intervention et les possibilités de trouver des solutions… »
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