Alors que l’année se termine et que l’on arrive l’heure des bilans et des bonnes résolutions, ne serait-il pas utile de penser à ce que vivent en permanence les professionnels de l’aide et du soin ? Ils font face à des crises, et à des affects. La joie, mais aussi la peine, la colère, le découragement ou plus simplement le stress dû à l’appréhension peuvent survenir à tout moment. C’est pourquoi leur santé mentale doit être protégée, écrivait Paul Case dans un article publié par The Gardian en février 2018. Voici la traduction de cet article que j’ai retrouvé. Il est toujours d’actualité. Que nous dit ce travailleur social qui travaille à Édimbourg ?
« C’est incroyable la quantité de travail émotionnel que les travailleurs sociaux assument, mais dont ils discutent rarement. Nous travaillons intimement, souvent seuls, avec certaines des personnes les plus vulnérables de notre société. Nous voyons, entendons et intervenons dans des situations qui peuvent être pénibles. Nous sommes témoins des réalités de la violence, de la pauvreté et de la toxicomanie. Traiter l’impact émotionnel de notre travail demande du temps et des efforts ».
« Je ne souhaite pas décrire notre travail comme implacablement sinistre ; il y a beaucoup de joie, de rires et de récompenses dans notre quotidien de la part des personnes et des collègues soutenus. Mais notre charge émotionnelle, la façon dont nous sommes soutenus par nos employeurs sur ce sujet, est une question qui mérite que l’on en parle.
Comment partager ces tensions sans « charger » les autres ?
« Je suis certain que tout travailleur social a emporté chez lui au moins une expérience qui l’a laissé stressé malgré sa volonté de se détendre. Il est généralement difficile de trouver des moyens de discuter et de gérer ces moments-là. Parler à nos amis, partenaires et familles pourrait sembler être une réponse adaptée, mais la discussion de situations individuelles pose un problème de protection des informations dans l’objectif de respecter le secret professionnel. Et puis, il parait tout autant injuste de les encombrer avec ces situations.
Nous pourrions aussi recevoir des conseils en dehors du travail si nous sommes perturbés et que nous avons besoin d’aide. Nous aurions alors à effectuer un travail sur nous-mêmes en dépensant une part de notre salaire pour un besoin créé par les conditions inhérentes à notre travail. C’est tout autant problématique. Partager avec des collègues est également possible et parfois souhaitable, mais c’est un défi lorsque nous avons tous de lourdes charges de travail et un temps limité. »
Nous sommes dépendants de l’attitude de nos encadrements
« Les conséquences de ne pas disposer de temps et l’espace pour gérer correctement la dimension émotionnelle de notre travail peuvent être désastreuses. En tant qu’intervenant dans un organisme de bien-être et de soutien en santé mentale, j’ai vu des professionnels s’effondrer en pleurant, se retirer en raison du stress ou simplement partir au milieu d’un quart de travail. Ils étaient dans l’impossibilité de faire face. Un turn-over élevé du personnel et un soutien incohérent et mal géré semblent être des réalités quasi endémiques dans le secteur social.
J’ai pour ma part la chance de bénéficier d’une bonne gestion du personnel et je suis reconnaissant au service qui est à l’écoute des besoins des salariés. Nous avons des supervisions régulières et impliquées et pouvons discuter des problèmes lors des réunions d’équipe. J’ai par le passé été mal géré et j’ai alors vu la différence stupéfiante pour ma santé mentale. Dans tous les cas, nous sommes dépendants de l’attitude d’un responsable individuel vis-à-vis du travail émotionnel, ainsi que de l’espace que nos organisations lui offrent.
Il n’existe pas de législation sur le soutien émotionnel.
Tous les organismes d’aide sociale ne prennent pas sérieusement en compte l’impact des affects lié au travail. Le soutien dont nous avons besoin n’est pas régulièrement intégré dans l’organisation. Dans ma structure, il existe un soutien disponible via des conseils individuels à durée limitée et un service téléphonique. Dans d’autres institutions pour lesquelles j’ai travaillé, cela n’existait pas ou – si c’était le cas – je n’en étais pas informé ».
« Lors des nombreuses journées de formation et d’initiation auxquelles j’ai assisté, il a à peine été fait mention de l’endroit où trouver un soutien approprié, sans parler des stratégies pour aider à gérer notre stress émotionnel. Cela crée une culture de travail isolante où le travail sur les affects n’est pas reconnu. Discuter de ces questions est même implicitement découragé. Les brefs échanges que j’ai eu avec des collègues indiquent que beaucoup se sentent obligés de gérer les impacts de leurs émotions au travail en les considérant comme étant un problème individuel. Mais tous ou presque reconnaissent que les organisations pourraient faire plus pour les soutenir.
Notre santé mentale doit être protégée
Cela compte autant que notre santé physique, et cela est profondément lié à nos droits en tant que travailleurs ; le travail sur nos affects dans les situations devrait être considéré comme faisant partie de nos emplois. Parlez à vos collègues de la façon dont ils pourraient être soutenus plus efficacement. Parlez à votre responsable de l’intérêt d’ouvrir d’un espace de discussion sur ce sujet lors des réunions d’équipe et des supervisions. Parlez-en à votre syndicat et encouragez-le à entamer des négociations avec la direction pour fournir un soutien approprié si celui-ci fait défaut.
Nous voulons tous aider les gens au mieux de nos capacités. Cela ne peut être pleinement réalisé que si nous sommes nous-mêmes correctement soutenus.
Paul Case est un travailleur social en santé mentale et en soutien pour l’accès au logement vivant à Édimbourg
L’article : « Care workers need support to handle the emotional impact of our jobs » | The Guardian
photo : Karolina Grabowska via Pexels