Comment les travailleurs sociaux gèrent les désaccords dans les familles dysfonctionnelles

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Les familles qui, comme on le dit souvent prudemment, « dysfonctionnent » sont légion en polyvalence de secteur ou dans le champ de la protection de l’enfance. Pour autant, il faut faire avec elles tout en restant prudent(e) et avisé(e) face à ces situations chargées de stress et de tensions. La défiance n’étant jamais bonne conseillère, comment parvenir à établir un minimum d’accord avec les familles pour leur permettre d’avancer sans les juger ? C’est là qu’intervient le professionnalisme des travailleurs sociaux qui ont été formés à la médiation familiale et à d’autres approches.

Les familles qui vont mal sont fréquemment confrontées à de nombreux conflits et désaccords entre leurs membres. Conflits de couple, désaccords éducatifs, présence envahissante, voire hostile des parents ou beaux-parents… Face à ces situations complexes, les travailleurs sociaux adoptent une approche spécifique pour tenter de résoudre ces problèmes. L’objectif est de parvenir à aider les couples à exercer leurs fonctions parentales de manière plus efficace, en valorisant leurs compétences plutôt que de se concentrer sur leurs manques.

Les assistant(e)s de service social et les éducateurs spécialisés ont plusieurs possibilités.

Il sera utile de regarder plusieurs approches tel l’entretien individuel ou la pratique collective.

L’approche individuelle montre rapidement ses limites lorsqu’il s’agit d’accompagner des familles dysfonctionnelles. Ces dernières sont en effet des systèmes de relations complexes, où les problèmes d’un membre ont des répercussions sur l’ensemble du groupe familial. Une prise en charge centrée uniquement sur l’individu ne permet donc pas de saisir ces dynamiques systémiques.

De plus, ces familles sont souvent confrontées à de sérieuses difficultés de communication et de résolution des conflits. Une approche individuelle peut difficilement, à elle seule, restaurer le dialogue et la compréhension au sein de la cellule familiale. Le rôle et le soutien de la famille élargie sont pourtant essentiels, notamment dans des moments de crise . C’est pourquoi parfois, les travailleurs sociaux interviennent à plusieurs dans ce type de situation.

Cela a des avantages. Cela permet de ne pas être dans la  »toute puissance » et de n’avoir qu’un point de vue même s’il est argumenté. Cela permet aussi d’éviter d’être manipulé, car là aussi un risque existe. Il s’agit d’éviter de tomber dans certains pièges de la relation.  Ceux-ci peuvent parfois aveugler le professionnel et lui faire voir qu’un seul aspect d’une situation.

Les travailleurs sociaux le savent bien : les familles « dysfonctionnelles » ont avant tout besoin d’être accompagnées dans la redéfinition de leurs rôles et de leurs responsabilités. Une prise en charge individuelle restera limitée.  .

C’est pourquoi les professionnels ont intérêt à privilégier des techniques d’intervention plus globales, comme la médiation familiale ou les conférences familiales. Ces approches systémiques permettent de travailler sur la dynamique familiale dans son ensemble, plutôt que de se concentrer uniquement sur les difficultés d’un seul membre. C’est vraiment une manière plus adaptée de répondre aux besoins complexes de ces familles, surtout lorsqu’elles sont en crise. Malheureusement, ces approches sont trop peu utilisées et restent plutôt marginales.

Certains travailleurs sociaux organisent des ateliers parents-enfants et des groupes de parole. Le but étant de favoriser une meilleure communication et une compréhension mutuelle au sein de la famille. Ces espaces d’échange permettent à chacun d’exprimer ses besoins et ses sentiments, et d’apprendre à résoudre les conflits de manière constructive. Il faut bien évidemment avoir suivi une formation spécifique pour être à l’aise dans cette pratique. Il est nécessaire d’être au moins à deux lors des ateliers. L’un se centrant sur l’animation, l’autre sur la perception de ce qui se joue aux différents temps de la rencontre.

Dans certains cas, les travailleurs sociaux peuvent également déléguer l’accompagnement des familles à des professionnels spécialisés, comme des médiateurs familiaux. Mais ils ne sont pas en nombre suffisant sur le territoire au regard des besoins. Leur rôle est alors centré sur le travail avec les parents, sans avoir à porter le suivi éducatif auprès des enfants. Des Caisses d’allocations familiales tentent de promouvoir cette approche de gestion des conflits familiaux avant qu’ils n’aillent trop loin.

La médiation familiale une approche particulièrement adaptée

La médiation familiale est un processus tiers de construction ou de reconstruction de liens. Elle est axée sur le rétablissement d’un dialogue apaisé, l’autonomie, la liberté et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation. Le médiateur familial est un tiers impartial et indépendant. Il n’a pas de pouvoir de décision ouvre un espace confidentiel en organisant des rencontres entre les personnes qui le sollicitent. C’est une position facile et difficile à la fois. Facile, grâce à sa neutralité et son absence de poids décisionnel, le médiateur a moins de risque de devenir un enjeu pour les parties prenantes.

Mais ce n’est pas simple non plus, car ce professionnel est sans cesse sur une ligne de crête. Il est en équilibre sur un fil et ne peut donner raison ni à l’un ni à l’autre sauf en cas de maltraitance manifeste. Il sait que tout n’est pas blanc ni noir.  Son objectif est centré sur la communication permettant de renouer les fils du dialogue et du consensus.

La médiation familiale a pour objectif principal la préservation du lien familial lorsqu’il a été fragilisé par un événement ou une situation difficile. Elle a pour principale fonction d’offrir une alternative au recours au juge dans le règlement de litiges familiaux complexes. Le médiateur familial est souvent un travailleur social qualifié. Il aide les parties à trouver elles-mêmes une solution acceptable pour tous. Cette forme de médiation s’adresse à diverses situations conflictuelles, comme les séparations, les divorces, les conflits intergénérationnels ou les problèmes liés au handicap ou au vieillissement.

Et la conférence familiale ?

Voilà une pratique trop peu utilisée.  La conférence familiale est une pratique qui nous vient du peuple maori en Nouvelle-Zélande. Cette démarche est très généralement mise en œuvre en Australie, aux États-Unis, et au Canada aussi. Elle consiste à mobiliser la famille autour d’un problème qui se pose à un de ses membres en organisant des réunions familiales appelées conférences.

Le département de la Gironde avait organisé en 2019 un colloque européen sur ce mode d’intervention, présenté comme une forme de travail social assez nouvelle en France. L’Ardèche, le Nord et la Loire-Atlantique avaient commencé à expérimenter cette approche, mais je n’ai pas d’infos sur ce que cela a donné.

 Une des particularités de cette pratique consiste à mettre en avant le pouvoir d’agir » des personnes accompagnées que sont les membres de la famille. Elle permet de  « repenser le travail social » en plaçant la question du pouvoir d’agir des familles au cœur de l’intervention.

Très concrètement, la conférence est « préparée avec la famille ou l’individu à l’aide d’un coordinateur neutre et indépendant ». Ce coordinateur anime ensuite la réunion, qui rassemble la famille, mais aussi son entourage (proches, voisins, enseignants, etc.). Ensemble, ils identifient les difficultés et cherchent des solutions.

Ce processus permet ainsi « d’éviter deux placements d’enfants ». Il vise à responsabiliser la famille et à mobiliser ses propres ressources pour faire face aux problèmes, plutôt que de subir une décision extérieure. Ainsi, cette pratique se présente comme un outil intéressant pour redonner du « pouvoir d’agir » aux familles confrontées à des situations difficiles, en les impliquant activement dans la recherche de solutions.

Il n’y a pas de solution « miracle ».

Vous l’avez compris, les travailleurs sociaux disposent de différentes techniques et approches pour tenter de gérer les désaccords au sein des familles dysfonctionnelles. Que ce soit par le biais de la médiation familiale, des conférences familiales ou d’autres méthodes plus classiques, l’objectif est toujours le même : restaurer la communication, responsabiliser les parents et mobiliser les ressources de la famille pour trouver des solutions acceptables pour tous.

Cependant, il serait illusoire de penser qu’il existe une solution miracle face à ces situations complexes. Les familles qui vont mal sont aux prises avec des dynamiques relationnelles et émotionnelles profondes, qui ne peuvent être résolues du jour au lendemain. Le travail des professionnels du social est donc un travail de longue haleine, qui nécessite patience, empathie et professionnalisme. Or souvent dans les crises, il est attendu des décideurs des réponses rapides et, si possible, les moins couteuses.

Malgré ces contradictions, les travailleurs sociaux continuent d’innover et d’expérimenter de nouvelles approches. Ils ne baissent pas les bras à la première difficulté.  Nombreux sont ceux qui tentent de redonner du pouvoir d’agir aux familles et les accompagner au mieux dans la résolution de leurs conflits. Ils gardent aussi un regard précis sur la situation des enfants qui sont généralement la première cause de leurs interventions. C’est un travail essentiel, qui contribue à tisser du lien social et à préserver l’unité des cellules familiales, dans l’intérêt de tous. Ne l’oublions pas.

 

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