Comment apprendre à gérer nos désaccords ?

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La gestion des différences d’opinion et d’argumentation est un aspect inévitable et crucial en travail social.  Les services sociaux sont des lieux de croisement où s’entrechoquent constamment des visions diverses et parfois contradictoires d’une situation. Confrontés à ces tensions, les professionnels du secteur sont constamment amenés à affiner leur compréhension, à aiguiser leur discernement et à affirmer leurs convictions.

Ce sont là des dilemmes inhérents à toute pratique sociale Des dilemmes qui sont autant de défis à relever, autant de moments clés où s’opère une réelle alchimie de la pensée. Comment alors nous y retrouver dans ce tumulte d’opinions, d’idées et de points de vue divergents ? Comment gérer les dissensions, les tensions et même occasionnellement les confrontations violentes ? (la violence ne devrait pas avoir de place ici). C’est à ces questions que se propose de répondre cet article, en explorant les mécanismes du débat, les pièges de la pensée et les stratégies pour maintenir une pratique professionnelle à la fois respectueuse, équilibrée et efficace

Accepter le désaccord

Chaque professionnel apporte sa propre vision, pouvant aboutir à des désaccords importants. Par exemple, un éducateur pourrait défendre un point de vue proche de celui des parents, tandis que son collègue s’intéressera plus particulièrement à la parole de l’enfant. Cela peut conduire à des confrontations et même parfois à une forme d’hystérisation des relations. Alors, comment gérer ces conflits ?

Il est en tout premier lieu essentiel de reconnaitre que la dispute et l’expression du désaccord sont des pratiques normales et logiques. Il nous faut pouvoir accepter le droit de retrait du professionnel qui ne peut agir contre ses propres convictions. Mais, ce n’est pas sans difficultés. Les conflits peuvent soit provoquer des non-dits, soit encourager la discussion, même s’il existe toujours des risques de dérapages. Pourtant, c’est bien de cette discussion que naît le dialogue.

Un appel à la vigilance

Il nous faut donc renforcer les espaces qui permettent la prise de distance et qui dépassionnent le débat. Les groupes d’analyse de la pratique, les supervisions individuelles sont autant d’outils utiles et souvent efficaces. Il est souvent dommage que les employeur y fassent si peu appel. Mais il n’y a pas que cela. Il nous faut aussi « apprendre à déjouer les pièges de la pensée », comme l’explique Laurent Puech dans son dernier ouvrage intitulé « le manuel du travailleur social sceptique« . Il invite les travailleurs sociaux à devenir capables de déceler les biais de leurs propres analyses.

À cet effet, il est nécessaire de faire preuve d’une vigilance constante. Les mots ont du sens et l’utilisation de certains termes dans nos rapports peuvent être « grossis » pour aller dans la direction que l’on souhaite. Par exemple, lire sur un rapport que monsieur X. est violent va influencer notre vision sur cette personne sans que nous l’ayons forcément rencontrée. On ne peut systématiquement s’appuyer sur les dire de tiers même s’ils sont de confiance. Cela risque de biaiser notre analyse de la situation.

Apprendre à déjouer les pièges de la pensée

Il s’agit pour cela de tenter d’identifier les différents biais qui altèrent notre compréhension d’une situation. Il est alors nécessaire d’utiliser le curseur de la vraisemblance rationnelle. Il faut identifier nos incertitudes, être prudent dans nos possibles interprétations et rappeler que des alternatives existent dans nos façons de comprendre une situation et d’agir en conséquence.

De plus, il est essentiel de garnir notre « boite à outils professionnelle » pour plus de clarté dans nos analyses. Laurent Puech décrit pas moins de 11 effets trompeurs qui nous induisent en erreur. Il existe par exemple le biais de confirmation qui consiste à ne retenir parmi les informations disponibles que celles qui sont favorables à notre avis initial. Ou encore, le biais de la solution parfaite qui peut conduire certains à rejeter toute proposition qui n’est pas dans les standards de la réponse idéale pour un travailleur social. Les pièges sont nombreux.

La communication professionnelle n’est pas aisée lorsqu’on aborde des sujets aussi clivants que les violences conjugales et la protection de l’enfance. Il est donc essentiel d’user du principe de prudence, qui s’avère être le plus adapté dans ces situations. Cette prudence avisée n’empêche pas d’agir, mais permet plutôt de mieux agir en réintroduisant une rationalité nécessaire et bienvenue.Il nous faut savoir comment nous fonctionnent nos émotions face à ces sujets.

Adopter un positionnement raisonné et raisonnable

Le travailleur social peut mettre à l’épreuve, via une grille de lecture, ce qui le séduit initialement ou ce qui est socialement valorisé dans son collectif de travail. Il ne faut pas hésiter à suspendre son jugement quand on se rend compte que nos choix ne sont pas aussi rationnels qu’ils semblent. Cela demande une forme d’humilité, avec un regard clair sur nos émotions et ce qui nous anime. Ce n’est pas facile. Mais si vous ressentez un stress ou une émotion face à une information que vous recevez (et non pas quand vous prenez la parole) c’est qu’il y a quelque chose à travailler.

Il s’agit de réévaluer constamment notre propre mécanique de délibération. Pourquoi ? Tout simplement parce que la pratique du travail social a un impact considérable sur les vies des personnes. Ce processus est individuel, mais aussi collectif. Notre façon de lire les informations recueillies, de les traiter, de les relier entre elles, de les analyser individuellement ou dans un collectif de travail, d’en tirer des conclusions… Tout cela n’est pas sans risques. Nous ne sommes pas à l’abri de raisonnements biaisés, influencés, voire déformés.

Se poser la question : « sur quoi sommes-nous d’accord ? »

Certes, cette démarche peut être un peu dérangeante. Mais plus de rigueur dans nos écrits, moins d’interprétations hâtives, nous conduisent à une pratique raisonnée et prudentielle. Il est important de chercher à comprendre sans précipitation, d’analyser sans préjugés et d’agir avec le maximum de rationalité possible.

Plusieurs étapes sont généralement nécessaires pour parvenir à un accord dans un contexte de tension. Premièrement, il est essentiel d’ouvrir le dialogue en toute honnêteté afin de permettre à chacun d’exprimer ses vues et sentiments sans craindre le jugement.

Ensuite, il s’agit de favoriser l’écoute active. C’est une pratique qui encourage non seulement à entendre ce que l’autre dit, mais aussi à comprendre son point de vue. Il est important d’adopter une attitude ouverte, curieuse et respectueuse envers les autres perspectives.

Troisièmement, la recherche de solutions ne peut qu’être collaborative. Plutôt que de s’accrocher à une seule solution, il est préférable d’envisager plusieurs options et de discuter de leurs mérites respectifs.

Enfin, la négociation et le compromis sont souvent indispensables pour résoudre les désaccords. Cela peut nécessiter un certain lâcher-prise, une acceptation que l’accord final peut ne pas être exactement ce que chacun avait initialement en tête, mais reste néanmoins une solution acceptable pour toutes les parties impliquées.

Accepter les différentes façon de comprendre une situation

Cette approche interactive permet de résoudre les différents de manière constructive. Ils permettent à toutes les parties de sortir de la situation avec un sentiment de satisfaction et de respect mutuel. Quelle satisfaction de parvenir à se mettre d’accord sans imposer un point de vue unique !

La confrontation des points de vue et l’expression des différences sont inévitables dans la pratique du travail social. Pour gérer ces situations, il est nécessaire de mettre en place des espaces de dialogue et de réflexion, tout en cultivant un esprit critique et une vigilance constante pour déceler les biais possibles dans nos analyses et actions. Le scepticisme, loin d’être une entrave, est en fait un outil précieux qui nous permet de faire preuve de discernement et de prudence dans notre travail.

En résumé…

La gestion des conflits et des différences d’opinion est une dimension fondamentale du travail social.  C’est une pratique essentielle à la cohérence de l’action professionnelle et à la qualité de l’accompagnement. La dispute et l’expression du désaccord, loin d’être des obstacles, sont des moteurs de réflexion et d’évolution des pratiques. L’ouverture au dialogue, l’écoute active, la collaboration dans la recherche de solutions et la négociation sont les piliers de la résolution constructive des différences.

Ils favorisent la satisfaction et le respect mutuel. De plus, l’exercice d’une vigilance constante, l’adoption d’un positionnement raisonné et la détection des biais dans nos analyses sont des compétences essentielles pour éviter les erreurs de jugement et les actions mal adaptées. Le scepticisme, considéré comme une posture critique constructive, nous aide à déjouer les pièges de la pensée, enrichit notre pratique et nous guide vers des actes plus raisonnés et prudents. Ainsi, en apprenant à gérer les conflits et à naviguer dans la diversité des points de vue, nous nous donnons les moyens de contribuer efficacement à l’amélioration des vies des personnes que nous accompagnons.

Photo de shurkin_son sur Freepik

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