La députée LREM Claire Pitollat a remis au premier ministre le 5 septembre dernier un rapport qu’elle a rédigé avec Mathieu Klein, le président du Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle. Il a pour vocation « d’améliorer l’accompagnement des bénéficiaires du RSA et l’aide au retour à l’emploi ». La majorité des propositions présentes dans le document ont été reprises dans le plan pauvreté dont il a été question récemment.
« Il faut verser automatiquement le RSA à ceux qui peuvent en bénéficier » estime Claire Pitollat. C’est une évidence si on est dans la logique des droits pour tous. Il s’agit tout simplement de mieux lutter contre la pauvreté. « Actuellement 30% des ménages qui pourraient en bénéficier n’y ont pas recours » est-il précisé. Il est a craindre que cette seule disposition soit difficile à mettre en œuvre pour plusieurs raisons :
Le calcul du montant du RSA est plus complexe qu’il n’y parait. Il dépend, dans la majorité des situations, des 3 mois de ressources perçues qui précèdent son attribution. Puis tous les 3 mois ces revenus sont réévalués par la CAF qui suspend son versement ou du moins le diminue lorsqu’elle n’a pas reçu de déclaration trimestrielle. Le processus d’attribution mais aussi de maintien est plus complexe. En effet quand un allocataire travaille et à temps partiel, ou obtient un contrat court de quelques jours, il doit le déclarer et le nouveau calcul trimestriel modifie le montant de la prestation qui rappelons-le est différentielle. C’est parfois incompréhensible et des interprétations divergent selon les CAF départementales
Les fichiers de la CAF sont en permanence réactualisés mais il y a de nombreuses erreurs. La CNIL il y a quelques années avait constaté que les erreurs dans les fichiers de la CAF, selon les caisses pouvaient concerner jusqu’à 30% du nombre des allocataires CAF. Certes tous ne perçoivent pas le RSA et certaines erreurs n’impactent pas le versement des prestations, mais quand même cela fait du monde.
La gestion des indus RSA est devenue un véritable casse tête avec notamment des suspensions brutales de l’allocation qui mettent les familles en difficulté et les conduisent tout droit dans les bureaux des assistantes sociales. Ces indus, provoquent de multiples recours, et se traduisent par des transferts de charge financières au sein des Départements. Une gestion automatisée pourrait sans doute aider à limiter ces indus mais techniquement c’est assez délicat.
Voilà pour le versant prestation. Mais que dire de l’accompagnement notamment vers l’emploi ?
Les systèmes informatiques entre les Départements et Pôle emploi ne sont pas compatibles alors qu’ils accompagnent un même public. Jamais les Départements ne sont parvenus à croiser de façon efficace et éthique, (c’est à dire en respectant les règles et les droits des personnes) les fichiers qui comptabilisent l’accompagnement des allocataires qui relèvent de leurs services avec ceux qui ont été orientés vers Pôle Emploi et qui ont signé un PPAE (projet personnalisé d’accès à l’emploi). Bref on ne sait pas qui est suivi ni combien d’allocataires le sont réellement.
Les statistiques parlent de 80% des allocataires orientées mais mais cela ne veut pas dire qu’ils sont accompagnés. C’est d’ailleurs ce que déplore la députée Claire Pitollat : «six mois après l’entrée dans le RSA, 40% des bénéficiaires n’ont toujours pas accès à un accompagnement. Deux ans, après ils sont toujours 13%».
Il faut pouvoir repenser et réorganiser la part de l’accompagnement des allocataires RSA vers l’emploi en s’appuyant sur les expériences qui fonctionnent. Dans un Département que je ne citerai pas, la Direction de l’Insertion a constaté que seuls 7 à 8 % des allocataires RSA accompagnés par Pôle Emploi accédaient effectivement une ou plusieurs offres d’emploi dans le cadre de leur accompagnement. Certes c’est à l’allocataire de se démener mais ceux qui ont le plus besoin d’être soutenus ne semblent pas vraiment l’être dans certaines agences. Au point que des Départements envisagent de mettre en place leur propre dispositif spécifique d’accès à l’emploi pour les allocataires RSA. Mais cela pose une autre question : ne va-t-on pas alors créer un service public emploi des exclus à côté du dispositif de droit commun ce qui serait alors une forme de discrimination (même si elle est voulue positive) ? Plusieurs Départements ont fait appel à des structures spécialisées qui accompagnent vers l’emploi des allocataires. Il est nécessaire qu’elles travaillent, comme c’est souvent le cas, en coordination avec les agences de Pôle emploi même si ce n’est pas toujours facile.
La complexité que je tente de décrire est inhérente contenu même du texte de loi sur le RSA. Ce n’est pas l’administration qui est en faute, elle tente d’appliquer ce qui est difficile voire impossible à l’être : des textes n’ont pas tenu compte de la réalité sociale dans le pays. La loi sur le RSA rappelez vous a été construite sur un compromis entre Bercy, le premier ministre de l’époque et ses promoteurs notamment Martin Hirsch. C’était sous la présidence Sarkozy avec des décisions prises à l’emporte pièce. (regardez par exemple la place importante des contrôles et des sanctions dans la loi). Depuis l’ancien président a fait son mea culpa . En 2014 Nicolas Sarkozy déclarait que « Le volet accompagnement du RSA est un échec » mais ses solutions nouvelles, celles du parti Républicain portées par Laurent Wauquiez sont pires encore.
La loi sur le RSA a besoin d’être entièrement revisitée. Mais ce sujet ouvre des débats qui ne sont pas prêt de s’éteindre. Il clive une part importante de la population qui se déchaine contre ce qui est considéré comme de l’assistanat ou de la fraude qui pourtant, selon la CAF même, reste assez marginale. C’est un sacré « sac de pointes » mais c’est un sujet pourtant incontournable puisqu’il concerne la pauvreté et le concept même de solidarité.
Cela ne répond pas non plus à la question des moyens à mettre en œuvre :
en 2017, 3 millions 320.200 ménages percevaient le RSA socle et le RSA avec la prime d’activité. Imaginez que 30% qui ne le demandent pas mais qui y ont droit le perçoivent demain : cela ferait 996.000 ménages en plus dans les charge financières des Départements. Sans compter les moyens humains d’aide à l’insertion sociale et professionnelle.
Pour autant un mystère demeure : de quoi vivent ces 996.000 ménages qui ne demandent pas le RSA alors qu’ils pourraient l’obtenir ? Outre les réponses Voici mon hypothèse.
- il y a les personnes en attente d’un autre droit, AAH pension invalidité, minimum vieillesse…
- il y a celles qui sont suspendues et ou en attente du versement de l’allocation
- il y a celles et ceux qui ont un revenu réduit et pour qui le RSA serait un complément qu’elles ne souhaitent pas demander au regard de tout ce que le dispositif suppose d’engager
- il y a les « hors sol » ou hors système qui vivent d’expédients ou dans les marges. C’est parfois choisi mais cela peut être tout autant subi
- il y a celles et ceux qui sont financés par leurs familles lorsqu’elles disposent de larges revenus et qui « auraient la honte que l’on sache qu’elles ont demandé le RSA..
- etc.
Bref on ne peut parler des allocataires du RSA comme une simple catégorie de population. Il vivent des réalités sociales multiples et diverses dont ne s’est pas préoccupé le législateur qui à mon sens n’avait pas associé les travailleurs sociauxlors de la préparation de la loi . Or ceux ci connaissent la diversité des situations sociales, ils les rencontrent tous les jours. A l’heure où la parole est donnée aux personnes concernées notamment les personnes accompagnées, (et c’est très bien), il serait bon et utile que la voix des travailleurs sociaux qui accompagnent les personnes au quotidien puisse être entendue. Ils sont aux premières loges et cela ne peut être ignoré.
Lire ici le rapport sur « l’accompagnement des bénéficiaires du RSA »
Photo extraite de a vidéo de la Commission des affaires sociales 26/09/2018