La question m’avait été posée à plusieurs reprises dans le cadre de mon travail. Il nous arrive de recevoir des personnes qui « tiennent peine debout », « titubent » et visiblement ont consommé une quantité non négligeable d’alcool. Généralement l’entretien est rapidement écourté et la personne repart. Mais voilà, n’y a-t-il pas danger pour elle et les autres si elle est venue en voiture et que vous savez qu’elle va prendre le volant ? C’est en résumé la question qui m’a été posée et pour laquelle j’ai également interrogé le service juridique de mon institution. En effet il y a non seulement une approche éthique de ce que vous pouvez faire dans ce type de situation mais il y a aussi une réponse juridique qu’il est important de bien l’avoir en tête.
La personne qui est fortement alcoolisée et qui va utiliser son véhicule est une personne en danger aussi bien pour elle même que pour les autres. La laisser simplement repartir en sachant qu’elle va prendre la route engage votre responsabilité.
lorsqu’une personne complètement ivre est susceptible de conduire un véhicule et d’occasionner un accident, tout citoyen se doit d’agir. Encore plus le professionnel. Ne rien faire, c’est engager sa responsabilité, soit au titre du délaissement, soit au titre de la non assistance à personne en danger..
L’article 223-3 du Code pénal précise que » Le délaissement, en un lieu quelconque, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ». Or un état d’ivresse manifeste est une des raisons
Par ailleurs, l’article 223-6 du Code pénal indique » Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ». Si la personne alcoolisée se tue ou tue une ou plusieurs personnes à la suite d’un accident, il sera vérifié le contexte de la prise de son véhicule et si quelqu’un aurait pu tenter de l’en empêcher. Cet accident n’est pas dû à la fatalité.
L’application de ces deux articles du Code pénal (délaissement et non assistance à personne en danger) oblige chaque citoyen à intervenir. La situation à laquelle le travailleur social est confronté l’oblige donc à agir même si cela peut être délicat.
La personne alcoolisée n’est pas systématiquement violente et, selon ce qu’elle peut comprendre, elle peut accepter sans soucis que quelqu’un la raccompagne à son domicile ou appelle un de ses proches pour que l’on vienne la chercher. Appeler un médecin peut aussi être tout à fait justifié, tout comme lui proposer de rester allongée et se reposer dans une pièce au calme (encore faut-il pouvoir en disposer). Souvent les personnes sont consentantes parce que, dans les brumes de leur conscience, elles savent bien que vous vous inquiétez pour elles.
En empêchant tout usager ivre de conduire son véhicule, d’autant qu’elle est consentante, vous agissez pour le bien de tous et notamment en premier mieux pour le bien de la personne. Ceci dit, en cas de violences ou encore de refus de toute intervention l’empêchant de prendre son véhicule, il convient d’appeler les forces de l’ordre même si cela peut avoir des conséquences dans la relation d’aide et d’accompagnement.
Cela est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, évidemment, mais nous sommes aussi dans le travail des citoyens soucieux des autres. Cela concerne toute personne qu’elle soit ou non dans le champ de l’intervention professionnelle.
Il y aurait beaucoup à écrire sur nos pratiques professionnelles vis à vis des personnes qui ont des addictions qui les détruisent et modifient fortement leur comportement. Les équipes spécialisées sur le terrain sont aussi là pour vous soutenir et vous aider à mieux prendre en compte cette réalité.
Les chiffres des accidents liés à l’alcool (à partir de la page 13) ne peuvent que nous conforter dans nos pratiques de prévention. Sur ce sujet travailleur social ou pas, nous sommes tous responsables.
Photo : Scott Holiday drinks Certains droits réservés
Note : pendant mes congés, je vous propose une rediffusion de certains articles « réactualisés »: celui-ci avait été initialement publié en 26 avril 2016
Une réponse
Un bon rappel. En effet, il y a un réel danger de laisser partir sans marquer clairement son intention de faire changer d’avis la personne ivre en tant qu’intervenant social. La responsabilité peut être engagée pour l’intervenant. Les outils de négociation DTI, ou DESC permettent de tenter (pas évident) de ramener la personne à la raison.Nos recherches http://gesivi.fr