Le sociologue Pierre Bourdieu nous a dit il y a fort longtemps que les travailleurs sociaux font partie de la « main gauche » de l’État. La main gauche c’est « l’Etat providence », celle qui protège, qui soigne et qui éduque. Mais il y a aussi une main droite. La main droite, c’est, si l’on prend un raccourci, « Bercy » la Haute Administration, les gestionnaires des comptes publics qui n’ont qu’un objectif en tête, réduire « les déficits » et revenir à un certain « équilibre des comptes de la nation ». Ces 2 mondes cohabitent mal dans la mesure où l’un exerce une contrainte forte sur l’autre et bien évidemment ce n’est pas la main gauche de l’Etat qui est gagnante à ce jeu. Cela ne veut pas dire, si bataille il y a, qu’elle est perdue et qu’il faut se résigner.
Notons au passage qu’il ne faut pas oublier qu’il y a aussi au sein de l’appareil d’Etat des fonctionnaires qui bataillent ferme au sein des ministères pour tenter de limiter les effets produits par des décisions prises sur de seuls critères financiers par la haute administration. Ces professionnels, qui travaillent souvent dans l’ombre sont des alliés sur qui nous pouvons compter. Je peux témoigner à ce sujet du grand engagement que j’ai découvert chez de nombreux cadres et agents de la DGCS la Direction générale de la cohésion sociale. J’avais eu le privilège d’être invité à un séminaire interne et avais pu constater à cette occasion combien les personnes présentes (et elles étaient nombreuses) inscrivaient leur action dans les valeurs républicaines mais aussi humanistes, l’humain primant sur l’économique. J’en avais été surpris car j’avais sur ce sujet des représentations finalement erronées. Mais ce n’est « que » le ministère des affaires sociales direz vous. Certes mais voir un tel engagement des agents de l’administration centrale dont la préoccupation va vers les plus fragiles de la société m’avait donné du baume au cœur. Problème toutefois, ce ministère manque de reconnaissance et de considération notamment face aux ministères régaliens que sont l’économie, la défense, ou encore la justice et d’éducation. ( ces 3 derniers étant eux aussi malmenés par les décisions du premier cité).
En résumé, vous avez des valeurs que vous souhaitez universelles. Elles font partie de notre spécificité et conditionne votre pratique. Vous savez aussi que la construction d’une pensée professionnelle ne s’élabore pas qu’à partir de savoirs issus l’expérience et des faits ainsi qu’à partir les disciplines universitaires. Il y a aussi ces valeurs (implicites ou explicites) qui sous-tendent nos actes, qui orientent nos façons d’agir.
Vous avez des valeurs, mais quelles sont-elles vous qui êtes ou qui souhaitez devenir travailleur social ? Les principales sont le respect, l’acceptation, la reconnaissance, la considération, l’écoute, l’ouverture, la coopération, le civisme, l’honnêteté, l’action juste, le partage, la fraternité, l’empathie envers d’autres humains. Il y en a d’autre, cette liste est loin d’être exhaustive. Mais si déjà vous ne vous sentez pas concerné(e) par cette petite liste, peut-être sera-t-il préférable pour vous que vous alliez vers d’autres métiers que ceux de l’aide, de l’assistance et du soin.
Ces valeurs s’opposent de front à d’autres mais parfois elles cohabitent selon le sens que nous leur donnons : la performance et l’excellence, l’autonomie et l’individualisme, le profit immédiat, l’efficience, la combativité, l’âpreté aux gains, la recherche de résultats, l’ambition, la compétition, Etre le meilleur… Certes, ce sont pas de « mauvaises » valeurs au sens moral du terme mais reconnaissons que lorsqu’elles ne sont associées qu’à des objectifs exclusifs et personnel pour par exemple s’enrichir financièrement, les valeurs humanistes sont parfois « bousculées » et ne pèsent pas lourd. Elles seront peu mises en avant dans une prise de décision.
Bien évidemment nous n’avons pas le monopole des valeurs que nous choisissons. Mais elles influencent nos actes, alors que nous sommes en relation quotidienne avec d’autres humains qui font face eux à des difficultés parfois considérés comme insurmontables car construites sur des souffrances, de la violence, des tensions, des addictions, des idéologies et j’en passe. Parfois il arrive que le travailleur social soit lui même prisonnier de sa propre histoire et sa propre souffrance. Il sera alors en difficulté pour aider la personne qu’il reçoit. Pour prendre du recul et ne pas interpréter ce qui lui est dit à l’aune de sa propre situation.
En rédigeant cet article, je voulais vous parler de ce que représente l’évaluation en travail social. En effet évaluer pour les travailleurs sociaux, c’est « donner valeur à » et reconnaître la valeur de ce qu’ils font et de ce que font les personnes qu’ils rencontrent. Finalement je me rends compte que je suis passé un peu à coté du sujet pour vous dire autre chose. Bon ben désolé, la question de l’évaluation sera pour une prochaine fois ! Et merci de votre indulgence à ce sujet..
Photo : Gratisography