Changer de cap : la Caisse Nationale d’Allocations Familiale défend son projet et laisse une porte ouverte aux discussions

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Je vous ai récemment informé d’un échange entre la Caisse Nationale des Allocations Familiales et cinq organisations de lutte contre la pauvreté et de défense des droits. (Collectif « Changer de cap », Secours catholique, Fondation Abbé Pierre, ATD quart-monde, Ligue des Droits de l’Homme). Le Directeur général de la CNAF, Nicolas Grivel, avait reçu ce collectif  le 17 janvier dernier. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Cet article vise à vous informer du contenu des échanges en cours.

Lors de cette rencontre, la CNAF s’était engagée à répondre par écrit à ses interlocuteurs, ce qu’elle a fait assez rapidement. Dans un long courrier de 8 pages avec les annexes, La CNAF a repris point par point les sujets qui fâchent, ou du moins ceux qui font l’objet de désaccords après la publication de plusieurs articles de presse et reportages ici et là qui mettaient en cause son fonctionnement.

Ce courrier conteste les dysfonctionnements dénoncés par le collectif, mais il reconnait dans un même temps que rien n’est simple dans la mesure où l’organisme doit faire face à des défis assez considérables. Il est par exemple expliqué pourquoi les personnes les plus précaires avec des aides sociales sont plus fréquemment contrôlées que les autres.

Que dit le directeur de la CNAF ?

Dans sa lettre d’accompagnement d’un document qui entre dans le détail, le directeur de la CNAF déclare avoir a été attentif aux critiques formulées dans le « dossier de propositions » qui lui a été transmis par le collectif Changer de Cap.  Il a pris en compte les critiques formulées et souligne que le débat citoyen pouvait être fructueux. Il rappelle à cette occasion que le réseau des Caf est composé de 35.000 « collaborateurs » travaillant pour le service des plus modestes et qu’il demeure un service public incarné, proche de la population et de ses partenaires.

Il réagit aussi sur l’usage du numérique au sein des CAF : c’est un outil indispensable pour honorer l’engagement de paiement de prestations mensuelles à ses 13,6 millions d’allocataires, notamment les minimas sociaux, « sans aucune défaillance », ajoute-t-il. Pour lui, les contrôles sur les données transmises par les allocataires sont nécessaires pour rétablir le juste droit en cas d’erreurs.  La CNAF est soumise elle-même à de nombreux contrôles et règlementations qui peuvent, reconnait-elle, « mettre sous tension son système d’information ». Mais elle reste maîtresse de ses capacités de développement. Enfin, déclare le directeur, son institution cherche toujours à servir les publics précaires en priorité et les erreurs de déclaration des allocataires sont fréquentes, justifiant les contrôles.

La CNAF se déclare  « fière du travail accompli par ses collaborateurs pendant la Convention d’objectifs et de gestion ».  Cela concerne particulièrement la mise en œuvre d’un nouveau service public d’intermédiation des pensions alimentaires pour lutter contre la pauvreté des familles monoparentales et apaiser les conflits au sein des couples séparés. Il est aussi question d’un soutien exceptionnel aux allocataires et aux partenaires durant la crise sanitaire. Le directeur met en avant les réalisations de son institution tout en regrettant « la façon dont certaines de vos critiques [du collectif] sont exprimées, ainsi que leur reprise souvent caricaturale par les médias ». Il regrette au passage que les progrès et réalisations significatives de son institution « soient ainsi occultés au risque d’affaiblir in fine un service public qui a pour mission d’aider et d’accompagner les plus fragiles d’entre nous et de participer à la cohésion sociale de notre pays ».

Ce courrier pourrait laisser supposer que tout va bien dans les CAF. Les plaintes des usagers face à une multiplication des contrôles ne seraient finalement que très marginales au regard du nombre d’allocataires percevant une ou plusieurs prestations. Soyons réalistes : peut-on imaginer que le nouveau directeur de la CNAF puisse écrire autre chose et ne pas défendre mordicus son institution ? Il est dans son rôle. (Vous trouverez en bas de cet article la lettre que la CAF a adressée au président du collectif « Changer de Cap »)

Des contrôles CAF réfutés, mais qui s’expliquent

Parmi les 6 points abordés par le collectif, celui des contrôles excessifs des allocataires des plus pauvres a fait l’objet de multiples précisions. Le courrier reconnait que les CAF versent des fonds publics pour des prestations sociales complexes.  Elles doivent vérifier les déclarations pour éviter des erreurs. Or les erreurs sont fréquentes et peuvent être favorables ou défavorables à l’allocataire.

Dans son explication, la CNAF réfute le fait que les populations les plus précaires soient ciblées, mais elle précise aussi que plus les personnes doivent déclarer leurs revenus, plus le risque d’erreur est grand et peut créer des anomalies à l’origine de contrôles. Finalement, on comprend qui si le contrôle est ciblé sur les prestations sous condition de ressources (celles des familles les plus pauvres), ce n’est pas une volonté de la CNAF mais c’est le système des déclarations qui le provoque.

C’est subtil et l’on comprend vite que oui, les populations les plus contrôlées sont celles qui perçoivent des minimas sociaux. C’est d’ailleurs pour cela que la CNAF travaille actuellement sur la possibilité d’automatiser les versements de prestations à la source sans avoir à demander des déclarations trimestrielles aux allocataires. Les changements de vie familiale et professionnelle impliquent fréquemment un nouveau calcul des droits de l’allocataire avec toujours des risques d’erreurs qui peuvent provoquer des contrôles sur pièces.

On apprend aussi dans ce courrier qu’il y a très peu de fraudes quand on les compare aux erreurs. Ainsi, sur l’ensemble des 4 millions de contrôles réalisés en 2021, 740.000 ont permis de détecter des indus, et parmi eux, seulement 43.000 ont été qualifiés de frauduleux. Parallèlement, 351.000 contrôles ont permis de générer des rappels de droits, en faveur de l’allocataire. « La bonne foi étant par principe présumée (loi Essoc), la qualification de fraude doit être démontrée, et il n’y a pas de confusion entre erreur et fraude » affirme la CNAF.

La CNAF réfute aussi l’usage massif du datamining. Ces techniques ne sont utilisées selon elle que dans 6% des 4 millions de contrôles effectués par les CAF et ne visent pas la fraude, mais à identifier les situations qui ont le plus de probabilité de générer une erreur. Le but est d’assurer que les allocations versées correspondent à ce qui est prévu par la réglementation pour assurer la justice sociale et non de s’attaquer aux plus fragiles, écrit-elle.

Elle reconnaît l’importance de la présence humaine dans la CAF, « qui joue un rôle majeur dans l’accès aux droits ».  Elle souligne aussi la complexité et l’instabilité du système pour les personnes dont les revenus varient régulièrement, ce qui amplifie les incompréhensions des allocataires concernés et les mettent en difficulté. Elle reconnaît aussi le caractère vital des prestations de solidarité pour les personnes qui en ont besoin pour se nourrir, se soigner et se loger.

Beaucoup d’autres sujets importants sont traités dans la réponse de la CNAF. Il est difficile de tous les reprendre dans un tel article. C’est pourquoi, je vous invite à en prendre connaissance en le téléchargeant ici.

Le Collectif « changer de cap », n’est pas là pour polémiquer. Il va prochainement proposer aux associations un appel national intitulé  » Six changements d’orientations majeurs sont nécessaires pour remettre l’humain et le droit au cœur de l’action des CAF ». Il  espère en parallèle pouvoir continuer d’échanger avec la direction de la CNAF qui a en son sein une médiatrice nationale que les travailleurs sociaux connaissent un peu puisqu’il s’agit de Christelle Dubos, ancienne secrétaire d’État chargée de la politique familiale.

Vous trouverez bientôt sur ce blog un interview que j’ai pu récemment réaliser avec un technicien conseil d’une CAF. Il nous parlera de son quotidien. Vous pourrez ainsi vous rendre compte par vous-même de la distance qui peut exister entre le terrain tel qu’il est vécu en interne et ce qu’en disent les dirigeants.

 

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Photo : DD

 

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