Didier Dubasque
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Vous avez dit violence ? Parlons-en justement.

Plusieurs situations dramatiques ont récemment endeuillé la communauté des travailleurs sociaux et plus particulièrement celle des éducateurs spécialisés. Je pense bien évidemment à la disparition tragique de Marina Fuseau, à Poitiers mais aussi à celle de Jacques Gasztowtt  à Nantes. Tous deux, éducateurs, ont payé de leur vie leur engagement professionnel.  Ces drames sont révélateurs des tensions et des violences inscrites dans notre système social. Cela notamment  lorsque les auteurs de ces actes  pouvant aller jusqu’au crime ou la tentative d’homicide sont sujets à des troubles psychiatriques. Ceci n’excuse pas cela direz vous, et vous avez raison. Et puis il y a toutes ces agressions et menaces que subissent ou ont subi de nombreux travailleurs sociaux qui préfèrent ne pas en parler. Et bien, justement,  parlons-en !

« La forêt qui pousse silencieusement »

La violence de certains usagers des services sociaux est une réalité qu’il ne faut pas occulter. Pour autant elle n’est pas du tout représentative des pratiques de l’ensemble des personnes accompagnées, bien évidemment. Elle ne peut nous faire oublier tous ces temps de partage, tous ces actes quotidiens d’écoute, de conseils , d’accompagnements éducatifs et sociaux qui se construisent dans un respect mutuel de personne à professionnel mais aussi de personne à bénévole. « Si l’on voit et l’on entend un arbre qui tombe, on ne voit pas la forêt qui pousse silencieusement ». Cette forêt qui pousse contre vents et marées a besoin d’attention, de respect et de prévenance.

Les travailleurs sociaux sont des professionnels du soin. Ils ont la grande mission d’aider à la protection des personnes les plus fragiles. Celles-ci peuvent être victimes de prédateurs, de tyrans domestiques. Il n’est pas étonnant que ces tyrans ne supportent pas d’être empêchés d’agir en toute impunité. Ils ont parfois appris à défier la police et la justice qu’ils méprisent souvent et ignorent parfois. Ils ne font pas grand cas de ceux qui se mettent en travers de leur route. Ces hommes et ces femmes aux comportements tyranniques ont une absence d’empathie ou du moins une incapacité à reconnaître l’autre en tant que sujet digne d’être écouté et respecté. Ils peuvent aussi parfois ne développer leur violence que lorsqu’ils sont sous l’emprise de produits qui altèrent leur perception de la réalité. Cela ne les excuse en rien.

Nous sommes aussi bien placés pour savoir que la société n’est pas binaire avec d’un coté les criminels ou ceux qui pourraient l’être et de l’autre ceux qui sont victimes d’un système qui les oppresse. Certaines victimes peuvent devenir tyranniques et vice versa. Enfin nous ne nous étendrons pas (il le faudrait pourtant) sur certaines violences institutionnelles que des personnes « objets de mesures » subissent bien trop fréquemment. En aucun cas une violence ne peut en excuser une autre. Toutes sont à proscrire.

La parole de l’un et de l’autre

La violence ne survient généralement que dans un contexte où la parole disparaît m’a-t-on appris. Et il est vrai que d’expérience , tous les actes de violences que j’ai pu constater au travail prennent leurs sources dans des contextes où la parole de l’un n’a plus aucune valeur aux yeux de l’autre. Rappelons nous aussi que certaines menaces sont aussi violentes que les coups. Elles instillent l’inquiétude et la peur. C’est exactement ce que recherchent les agresseurs. Alors ne faisons pas leur jeu. Ne succombons pas à cette peur qui peut progressivement s’installer et nous empêcher de travailler sereinement. Nous n’osons pas en parler. Avoir peur, être inquiet serait un signe de manque de professionnalisme, car cette peur de l’autre est un sentiment difficile à contrôler. Les travailleurs sociaux et notamment les éducateurs apprennent justement à distinguer ce qui est rationnel, logique et ce qui relève des affects, (tout en les prenant en considération). Être « affecté » serait mal perçu par nos hiérarchie. C’est pourtant un sentiment bien humain.

Une question d’attitude

Nous avons une première chose à faire : parler et écrire sur nos expériences mais aussi nos inquiétudes, sur les sujets qui nous heurtent et nous interrogent. Les menaces ou incivilités que je rencontre sont-elles en lien direct avec la situation ? Suis-je inscrit dans une démarche rationnelle, ou dois je faire face à des comportements qui ne le sont pas du tout ? Quels sont les actes et les paroles mais aussi les attitudes constatées qui sont objectivement source de notre inquiétude ? Quelle en est la graduation ? Si notre stress est en relation directe avec la situation, à quel moment avons nous été paralysés, empêchés d’agir ? Toutes ces questions devraient pouvoir être abordées de façon professionnelle. Retrouvons la source du malaise et tentons d’objectiver ce qui est en jeu. Cela nous permettra d’évaluer les risques. Il sont souvent plus importants lorsque nous faisons le choix de ne rien dire, de ne rien partager entre collègue ou avec notre encadrement qui est là normalement pour nous soutenir. Attention toutefois à ne pas banaliser. Les travailleurs sociaux ont un degré de tolérance important. Nous pouvons même parfois accepter l’inacceptable en ne disant rien ou en préférant faire comme si nous n’avions rien entendu. Ce n’est plus possible aujourd’hui.

Oui les pratiques d’aide et d ‘action éducative ne sont pas sans risques et cela ne date pas d’aujourd’hui. Elles ne sont pas de tout repos pourrait-on même ajouter. Il nous faut être vigilant, continuer de faire équipe, nous soutenir mutuellement et ne pas agir comme si nous étions invulnérables. Une pratique de prudence avisée reste nécessaire. Prenons le temps d’y réfléchir, ensemble et sans à priori. Prenons des mesures qui permettent d’éviter les débordements. Nous avons besoin de travailler dans la sécurité mais pas dans le sécuritaire. La ligne de partage n’est pas évidente, mais l’intelligence collective des équipes de travailleurs sociaux peut dans nos services peuvent apporter des réponses adaptées à nos réalités de travail. Faisons nous confiance mutuellement sur ce sujet.

Note au sujet de cet article : j’avais rédigé ce texte à l’intention du journal lien social qui en a diffusé l’essentiel sur son site internet (rubrique actualités du 23 novembre dernier. J’en profite pour adresser  un grand merci à Joël Plantet ! ) les intertitres sont issus de l’article de Lien Social.

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2 réponses

  1. Ancien Travailleur Social , pendant des années ( Paris – Région Parisienne ) actuellement retraité et de retour dans ma Région Languedoc -Roussillon – Je ne peux rester insensible à ces situations ;J’ai exercé comme ( éducateur ) dans différents établissement ( Secteur Public – Privé ) – Les dernières Années de mon activité professionnelle ( Formation – Médiateur Familial )

  2. « Nous avons besoin de travailler dans la sécurité mais pas dans le sécuritaire »
    Bel article. On aimerait le transmettre à nos stagiaires en mentionnant la source.
    http://www.gesivi.fr
    Recherche et formation pour faire face à la violence dans le médico social

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