Ça y est, nous y sommes, le numérique permet désormais de déployer des services en direction des personnes en difficulté qui sont invitées désormais à payer pour obtenir un diagnostic de leur situation. Tout cela avec la bénédiction de la CNAV et de L’ARS.
Avec ce modèle, exit le service public gratuit et pour tous. Un exemple nous est donné avec La plateforme Amantine qui propose « le soutien des aidants familiaux ». C’est un marché susceptible d’être très lucratif. Cela fait longtemps que le sociologue Michel Chauvière tire la sonnette d’alarme à travers ses travaux sur la marchandisation de l’action sociale et du travail social. Oui bon, il a raison et là on y est vraiment.
Il faut payer si vous ne savez pas bien vous informer
Le « privé » sait se rendre attractif mais il a un défaut : il faut payer. A l’image des services tiers qui permettent d’obtenir rapidement une carte grise, pour vous éviter de tomber dans les griffes d’un logiciel mal paramétré, nous avons aujourd’hui des services qui permettent d’obtenir des réponses que l’on obtenait gratuitement par le passé. Que préférez vous ? confier vos problèmes à quelqu’un que vous rémunérez (demain peut-être un algorithme sophistiqué) ou à une personne qui vous fourni le même service gratuitement ? (Je sais rien n’est gratuit…) parlons plutôt d’une autre personne qui est payée par la solidarité nationale mise en oeuvre par l’Etat.
Ce qui agace vraiment c’est qu’il soit nécessaire de payer pour être informé. Amantine veut bien vous donner l’info générale gratuitement, (que l’on trouve partout sur les sites de services publics) mais dès que vous exposez votre situation personnelle, il faut sortir le portefeuille avec une graduation des prix et des services rendus… 49 euros pour une information personnalisée fournie par « un expert », un peu cher quand même. C’est presque 2 fois que le prix d’une consultation médicale par un généraliste. Mais, c’est là aussi le top, vous avez droit à une réduction d’impôts de 50%. Pourquoi s’en priver à l’heure ou tout le monde ou presque estime qu’il en paie trop…. L’Etat est là pour vous aider. Le crédit d’impôt n’étant rien qu’un transfert social à l’envers qui ne fonctionne que pour ceux qui ont des revenus.
Mais Amantine en fait encore plus ! Le top du top sera de déléguer la gestion et le suivi de votre prestation ou de celle de vos parents qui vous prennent trop de temps : pour seulement 390 € Amantine vous propose une aide administrative avec recherche de prestataire, mise en place d’une solution et « suivi des prestations ». Elle n’est pas belle la vie ? On ne s’occupe plus de rien et hop ! les prestations sociales arrivent.
Est-ce le démantèlement de l’Etat providence ?
Le monde du business avance quoi que l’on fasse ou l’on dise. Les « entrepreneurs sociaux » ont le vent en poupe : ils se positionnent pour répondre à des besoins qui coûtent cher à l’Etat. Lorsque les services publics sont engorgés et ne peuvent répondre, c’est au privé de prendre le relais. Il sait le faire de façon séduisante grâce à des « business plans » qui étudient les services à mettre en oeuvre C’est un marché avec calcul du seuil de rentabilité. Or, ce marché peut devenir fort lucratif tant les besoins sont importants. Au final, l’usager est devenu un client qui paie ce qu’il avait gratuitement par le passé.
Ce qui est fantastique, me disait récemment Pierre Gauthier, en aparté à l’occasion de l’assemblée générale de l’Unaforis, c’est de voir comment la haute administration démantèle les services de l’Etat qu’elle est censée défendre et promouvoir ». L’ancien haut fonctionnaire très estimé dans notre milieu, n’en revient pas. « C’est vertigineux » dit-il « de mesurer la vitesse à laquelle cette déconstruction est en oeuvre ». (il m’avait autorisé à citer son propos étant dégagé de tout devoir de réserve).
Mais vers quoi va notre société ?
Le principe de solidarité n’est-il plus de mise ? Son champ de compétence s’amenuise-t-il progressivement au même rythme que la surface de la forêt amazonienne ? Il me semble qu’actuellement les services publics se dégradent tout autant que le climat. Une aubaine pour certains business. Quand à la réforme de l’Etat, elle continue sont bonhomme de chemin, tranquille, les doigts dans le nez : dématérialisation, réforme de la fonction publique, mise en place de l’Etat plateforme…. Tout va dans le sens d’une « disruption » de l’Etat social sommé de d’agir comme une entreprise en remplaçant le principe d’intérêt général par celui de la sacro-sainte compétitivité.
Peut-être ne nous reste-il plus comme seule solution qu’à trouver une Greta Thunberg du social pour que la cause du service public soit prise en considération ? A moins qu’il faille carrément aller recruter Lisbeth Salander !
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