J’ai récemment animé 2 jours de formation en direction de travailleurs sociaux en activité sur la difficulté d’aller vers des personnes qui ne demandent rien alors qu’elles ont besoin d’être soutenues. Le concept nommé « Aller-vers » fait partie du plan national de formation des travailleurs sociaux défini par la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Pourquoi et que met-on derrière ce terme ? Tel est l’objet de cet article qui se décline en 2 parties.
Qu’est-ce que l’Aller-vers pour le Haut Conseil du Travail Social ?
C’est à la fois un déplacement et un positionnement professionnel. C’est une posture engagée et engageante. C’est une philosophie d’action, surtout pas un dispositif nous a dit Marie Paule Cols lors de la journée mondiale du travail social organisée en 2019 par le Haut Conseil du Travail Social. Marie Paule qui anime au HCTS le réseau des Comité Locaux du Travail social (CLTS) avait aussi précisé que « C’est de la prévention », une démarche « pro-active».
Lors de cette journée Cyprien Avenel, sociologue qui travaille à la DGCS nous avait précisé dans son exposé que l’ « Aller-vers » renvoie au cœur de métier du travail social. « En dehors de la prévention spécialisée ou des maraudes, nous ne sommes plus habitués à ce positionnement. En cause, l’enfermement dans des logiques institutionnelles et bureaucratiques. » avait-il expliqué « Les institutions ont créé de la distance entre travailleurs sociaux et personnes en grande difficulté »
« Le travail social est un métier qui fabrique de l’humanité« , nous avait aussi dit Maryse Tannous Jomaa, professeure associée à l’Ecole libanaise de formation sociale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (son école a été détruite lors de l’explosion qui a détruit la ville). La vice présidente de l’Association Internationale pour la Formation, la Recherche et l’Intervention Sociale – AIFRIS. nous avait aussi expliqué que le but du travail social, est de « changer une réalité indésirable ». Pour cela il nous faut « aller-vers » celles et ceux qui n’ont pas toujours conscience de leur situation. C’est une démarche engagée et engageante.
Mais pourquoi aller-vers ?
C’est la note de cadrage de la formation élaboré pour la Stratégie Nationale de Lutte contre la Pauvreté qui nous l’indique. 4 raisons sont invoquées. Il s’agit de
- lutter contre l’isolement, le repli sur soi, le renoncement aux droits des personnes les plus en difficulté.
- agir préventivement avant que les difficultés ne soient installées, dans un objectif de prévention plutôt que de réparation
- créer, des liens entre les personnes concernées, les professionnels et les organisations,
- donner à chacun la possibilité de renforcer sa capacité d’analyse des comportements et des pratiques.
Il s’agit aussi de favoriser la réflexivité de tous pour faciliter le travailler ensemble entre professionnels, bénévoles, personnes accompagnées. Pour la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté aller vers « est à entendre comme une démarche qui se situe au-delà de toute intervention sociale, qu’elle soit d’accueil, de diagnostic, de prescription, d’accompagnement ».
Cette démarche rompt avec l’idée que l’intervention sociale ferait systématiquement suite à une demande exprimée. Elle permet d’intégrer dans les pratiques les situations de non-demande de certains publics (pas seulement des personnes vulnérables). Elle engage les acteurs à se situer dans une pratique dite « pro-active », pour entrer en relation avec ces publics. Elle vise à lutter aussi contre une forme de bureaucratisation du travail social. Ce n’est donc pas un dispositif, c’est une pratique
Une autre définition de l’Aller-vers construite avec des travailleurs sociaux
J’ai animé une formation sur 2 jours auprès de travailleurs sociaux de diverses institutions allant du champs institutionnel classique au secteur associatif, mais aussi médico-social. Des personnes travaillant dans le domaine du handicap étaient aussi présentes. Enfin deux des participantes avait une expérience pratique des maraudes ce qui fut fort utile au regard de leurs expériences
Nous avons noté des mots clés sur ce que représente pour tous les participants le « Aller-vers ». A partir de ces mots, il a suffit dans un second temps de les relier entre eux. Un exercice tout à fait simple dans la mesure où les participants avaient rédigé aussi bien des verbes que des mots qualifiant le concept. Le résultat de cet exercice me parait particulièrement réussi
Qu’est ce que l’aller-vers ?
» C’est une action, un déplacement qui conduit à se mettre en lien sans s’imposer. Il faut pouvoir se mettre à la portée de la personne en l’écoutant.. Pour réussir la rencontre, il faut être vigilant sur le « démarrage » de la relation. Cela demande une forme d’engagement qui nécessite de s’adapter, d’être disponible et bienveillant. Il faut pour aller-vers accepter l’incertitude qui provoque de l’insécurité et met dans une zone d’inconfort. »
Et bien voilà la définition que je vous propose au final. Elle est tout simplement issue de la réflexion du groupe de travailleurs sociaux en formation qui nous a prouvé une nouvelle fois à cette occasion que l’intelligence collective est une réalité palpable en travail social.
Demain nous verrons les freins et opportunités d’aller vers des publics peu en demande ou qui évitent d’être demandeur alors que leur situation justifie qu’ils soient soutenus notamment pour accéder à leurs droits.
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2 Responses
Très bon article qui replace à mon sens l’importance de « sortir du bureau » et occuper l espace. Nous avons développé cela dans notre livre « l’intervenant social face à la violence ». Comment se situer à la juste distance
http://www.gesivi.fr
Salut Didier,
je suis en phase avec ce que tu écris mais 2 remarques néanmoins :
– Aller vers est, devrait être une démarche humaine d’abord, alors a fortiori celle des travailleurs sociaux. J’adhère à l’idée selon laquelle l’institution – malheureusement – fait barrage, du fait des contraintes qu’elle installe par trop de bureaucratie et de technocratie.
– La note de cadrage de la formation par la stratégie nationale indique une voie à suivre, en toute bienveillance. Mais les travailleurs sociaux, si volontaires soient-ils dans cette perspective, peuvent-ils accomplir ce dessein sans, avant toute chose, bénéficier des moyens adéquats et d’une politique nationale qui porte effectivement et concrètement leurs efforts quotidiens en faveur des populations en difficultés ?