Nous sommes confrontés à une multitude d’évènements stressants qui s’accumulent à un rythme sans précédent. Mais il est en parallèle une autre crise silencieuse qui se développe dans l’ombre : la détérioration alarmante de la santé mentale des jeunes. Un article de Maria Melchior sur The Conversation nous alerte. Épidémiologiste et directrice de recherche à Inserm, elle met en lumière cette réalité, révélant comment la pandémie de Covid-19, les conflits mondiaux actuels, et les différentes pressions sociales exacerbent les problèmes psychologiques chez les adolescents et les jeunes adultes. Son article est d’autant plus intéressant qu’il est agrémenté de données précises et sourcées.
La France particulièrement touchée
Avant même l’arrivée du Covid-19, les signaux d’alarme étaient déjà là. L’étude Enclass, menée auprès de 11.000 jeunes Français, a révélé qu’en 2018, 32 % des élèves de 4e et 3e étaient à risque de dépression, avec une prévalence plus élevée chez les filles. Au lycée, ce pourcentage grimpe à 36 %. Ces chiffres sont d’autant plus préoccupants lorsqu’on les compare à ceux d’autres pays européens.
Le Baromètre Santé de Santé publique France montre une tendance similaire chez les jeunes adultes. Une prévalence de la dépression de ce public a plus que doublé entre 2005 et 2021 chez les 18-24 ans. Ces données soulignent une réalité inquiétante : aucun autre groupe de la population ne connaît une détérioration aussi rapide de sa santé mentale. Mais que se passe-t-il ?
Pour illustrer cette crise, prenons l’exemple de Léa, 22 ans, étudiante en droit à Paris. Comme beaucoup de ses pairs, Léa a vécu la pandémie comme un coup de massue, exacerbant son sentiment d’isolement et d’anxiété. « Les cours en ligne, l’incertitude quant à l’avenir, et l’isolement social m’ont plongée dans une spirale de stress et d’angoisse », confie-t-elle. Puis sont arrivés les phénomènes météo et les alertes sur le réchauffement climatique. Notre avenir est-il assuré ? Rien n’est certain à ce stade. Cela contribue à développer une forme d’éco-anxiété notamment face à l’inaction climatique. Aujourd’hui ce sont les guerres qui se rapprochent. Celle du Moyen-Orient voit des atrocités sur des populations civiles. Des jeunes, des enfants ne sont pas épargnés ni par le terrorisme ni par la violence d’État.
Les causes de ce stress majeur sont aussi inhérentes à notre mode de vie
Au-delà des statistiques et des témoignages, il est crucial de comprendre les causes sous-jacentes de cette crise. Les jeunes d’aujourd’hui sont confrontés à une multitude de pressions : compétitivité scolaire accrue, instabilité économique, exposition constante aux réseaux sociaux et aux informations mondiales souvent anxiogènes.
Les jeunes issus de milieux défavorisés sont particulièrement vulnérables. Maria Melchior nous parle de ces jeunes « dont les parents n’ont pas d’emploi ou ont des revenus faibles sont les plus concernés par des difficultés émotionnelles et psychologiques, surtout si leur famille connaît une situation de précarité aiguë telle que le fait de ne pas avoir de logement fixe. Or l’accès aux soins de santé mentale spécialisés est moins fréquent pour les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés » précise-t-elle.
« la fréquence de certains facteurs de risque ont cru : proportion de familles monoparentales, niveau de pauvreté, inégalités sociales, pression scolaire, auxquels s’ajoutent de nouvelles expositions telles que l’utilisation importante d’Internet (notamment des jeux vidéo et des réseaux sociaux)… »
Il est grand temps d’agir
Face à cette crise, des solutions émergent, bien que leur mise en œuvre reste plutôt à l’initiative de dispositifs qui ne se coordonnent pas toujours. Il faut relever l’amélioration de la connaissance sur les troubles liés aux dépressions. Il y a aujourd’hui une multiplication des dispositifs d’accompagnement comme les lignes téléphoniques d’aide mais aussi des services et des applications en ligne ?
Maria Melchior propose plusieurs solutions pour faire face à cette crise inédite chez les jeunes. Ces solutions s’articulent autour de trois axes principaux : la prévention, l’amélioration de l’accès aux soins, et l’action sur les déterminants sociaux.
- La prévention et le repérage des difficultés psychologiques : L’auteure souligne l’importance de l’identification précoce des difficultés psychologiques chez les enfants et les adolescents. Cela implique une sensibilisation accrue des parents, des enseignants, et des professionnels travaillant avec les jeunes. La diffusion des connaissances est essentielle pour mieux identifier les jeunes en souffrance.
- Une multiplication des dispositifs et systèmes d’accompagnement : Pour faciliter l’accès aux soins, Maria Melchior recommande la multiplication des dispositifs facilement accessibles. Cela inclut des lignes téléphoniques d’aide, comme Fil Santé Jeunes, des sites Internet fournissant des informations fiables et des applications de santé dédiées, même si elles ne suffisent pas à elles seules. Ces outils peuvent offrir des programmes d’aide, tels que des séances de relaxation ou de méditation, permettent certes d’aider à gérer les symptômes de stress mais l’accompagnement humain reste essentiel.
- Il faut aussi mener une action sur les déterminants sociaux : On ne peut qu’être en accord avec ce point de vue quand on travaille dans le social. Cela doit se traduire par une réelle lutte contre la pauvreté et le mal-logement, un accompagnement renforcé des familles monoparentales, une prise en charge des problèmes psychologiques des parents, et bien évidemment, la prévention des violences dans différents contextes (familial, scolaire, Internet). Il faudrait aussi revoir le système de compétition scolaire, qui exerce une pression croissante et constante sur les jeunes.
Le problème est que l’on reste un peu sur du « yaka – faucon » : cela ne suffit pas. Il reste à engager avec des moyens une meilleure prise en charge au sein du système éducatif du primaire à l’enseignement supérieur. Or aujourd’hui les moyens humains manquent, ne serait-ce que dans le champ de l’accompagnement social. Mais il y a des pistes à explorer. Des initiatives internationales, telles que le programme « Mind Matters » en Australie, offrent des exemples de ce qui peut être fait pour soutenir la santé mentale des jeunes dans les écoles.
Que nous suggère Mind Matters ?
Ce programme est une initiative australienne dédiée à la santé mentale dans les écoles secondaires. Financé par le gouvernement, il vise à intégrer des activités de promotion, de prévention et d’intervention précoce pour la santé mentale et le bien-être dans les établissements scolaires.
Les actions concrètes de « Mind Matters » comprennent :
- Le développement d’environnements scolaires sécurisants et engageants pour les jeunes.
- La promotion des compétences sociales et émotionnelles chez les élèves.
- La création d’un climat scolaire favorable au bien-être.
- Le soutien aux élèves ayant des besoins spécifiques.
- La collaboration entre les écoles, les familles et le secteur de la santé.
Le programme offre également une suite de ressources, incluant un kit pour les écoles, un calendrier de développement professionnel, un site web et des rapports d’évaluation. Ces outils sont conçus pour aider les écoles à mettre en œuvre des stratégies efficaces de promotion de la santé mentale. En termes d’impact, une grande majorité des écoles secondaires australiennes ont participé à ce programme et des effets très positifs ont été évalués.
Pour en revenir en France, cette crise de la santé mentale chez les jeunes est un appel à l’action. La stigmatisation de ce type de problèmes recule, on ne peut que s’en réjouir. Pour autant, il est nécessaire d’engager des réponses coordonnées et multidisciplinaires, impliquant non seulement le secteur de la santé, mais aussi de l’éducation, du social et au final de la société dans son ensemble.
En tout cas, il est temps de briser le silence. Plutôt que critiquer les jeunes que nombreux ne comprennent plus, il nous faut agir pour soutenir une génération confrontée aux poids du monde moderne qui ne sait plus où il va.
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