Cristina De Robertis nous a présenté hier sur ce blog la 3ème édition du manuel « l’intervention sociale d’intérêt collectif : de la personne au territoire ». Intéressons-nous aujourd’hui à ce qu’elle pense de la crise actuelle qui secoue les acteurs du travail social. En effet bien qu’elle soit actuellement un peu éloignée des problèmes immédiats que rencontrent les travailleurs sociaux, Cristina travaille toujours pour la revue de l’ANAS. Deux numéros en préparation de la Revue Française de service social vont, dit-elle, porter un éclairage remarquable sur la crise de recrutement dans le secteur du travail social. Le N° 285 qui sortira en juin 2022 s’intitule « Que veut le travail social ? » et le N° 286 à paraitre en septembre « Assistants de service social : combats passés, présents et à venir ». Cette question de la « crise d’attractivité » est constamment présente et abordée par des nombreux auteurs d’articles de la revue. Précisons que Cristina De Robertis est également présidente d’une association de prévention spécialisée (l’Association Prévention et d’Aide à l’Insertion – APEA) à la Seyne sur mer dans le Var. Son regard sur la crise actuelle est intéressant, il peut vous interpeler.
Cristina, quel regard portes-tu sur la crise actuelle des recrutements dans le travail social, sa « faible attractivité », le fait que des diplômés quittent le secteur ?
« On peut se demander si cette crise est vraiment une crise de recrutement. Ne serait-elle plutôt liée à une série d’exigences et options inappropriées des politiques sociales et de leur mise en œuvre par des institutions bureaucratisées et rigidifiées ?
La question récurrente est : comment faire du vrai travail social dans un contexte si peu porteur ? C’est-à-dire comment prendre le temps qu’il faut avec les personnes pour les accompagner dans leur évolution à leur rythme ; comment adapter les dispositifs aux personnes et les utiliser comme des moyens en fonction de leurs besoins et non tenter, faute de mieux, de les faire rentrer dans des cases préétablies ;
Comment développer le pouvoir d’agir des personnes si nous-mêmes sommes contraints dans des protocoles, procédures, délimitations bureaucratiques qui enlèvent le sens de notre travail ? Je pense que le problème est là.
Le travailleur social face à un certain désenchantement
« Le travailleur social a besoin de sens, de pouvoir mobiliser des énergies positives et de s’occuper des personnes avec souplesse, initiative et créativité. Ces éléments sont manquants et peu pris en compte dans l’organisation actuelle des politiques sociales ; mener à bien un « vrai » travail social est une lutte permanente et les mouvements actuels le soulignent. Cela provoque un certain désenchantement.
Dans ces conditions, c’est peut-être un bon signe que les jeunes ne postulent plus aux formations des professions sociales, car elles ne correspondent pas à leurs idéaux de venir en aide aux personnes vulnérables, d’apporter leur concours à plus de justice sociale et de changement de la société. C’est là une réflexion à mener pour voir les problèmes de recrutement et de faible attractivité plus comme une résistance et une opportunité que comme une difficulté ».
Des salaires dérisoires…
« Le problème est aussi ailleurs : il y a certes ce manque de sens, manque d’autonomie et d’initiative, manque de possibilités et de réponses pour les personnes. À cette liste, on peut aussi ajouter des salaires dérisoires. Cette situation n’est pas exclusive au travail social, on retrouve cette même problématique de manière récurrente chez d’autres professions : enseignants, soignants… Évidemment, il faut que tout cela évolue. »
Est-ce que vous vous retrouvez dans ces propos ? Votre réponse est la bienvenue.
Photo : Cristina De Robertis
5 réponses
Actuellement en deuxième année d’études d’assistant de service social, j’ai pu voir dans mes stages successifs un vrai découragement de la part des travailleurs sociaux travaillant depuis de nombreuses années. Des difficultés de travailler avec une hiérarchie qui connait de moins en moins le travail de terrain et qui parfois n’a aucune idée de ce qu’est vraiment le travail social, peu de soutien dans leurs décisions, un travail avec les partenaires peu facilité, … Tant de conditions qui font qu’avec un salaire peu attractif au vu de certaines responsabilités (notamment dans le secteur de l’ASE) peut sacrément donner envie de faire demi-tour quand on est étudiant et de se reconvertir quand on est en poste. J’entends beaucoup de ras le bol, de découragement alors que beaucoup de professionnels que je croise ont de vraies valeurs essentielles à ce métier.
Si crise du recrutement il y a, il s’agit bien entendu d’une conséquence – parmi d’autres. Les professions sociales, et Cristina a raison de ponctuer que ce n’est pas la seule, sont soumises à une triple ponction au moins. Salaires excessivement bas, ridicules même en région parisienne étant donné le prix du logement et de la nourriture ; effets mortifères (sic) des politiques sociales à forte empreinte néolibérale ; culte de l’empirisme et délaissement de la formation théorique des travailleurs sociaux, ceci favorisant la rengaine des doléances et des impuissances réelles et imaginaires.
Bonjour,
Je suis en 1ère année d’éducspé et je travaille là dedans depuis quelques années. Autant vous dire que je partage totalement ce constat. Je n’ai pas fait mon choix en fonction du salaire c’est une évidence mais, au-delà de ça, le manque de considération du pouvoir vis-à-vis de notre travail me semble vécue comme un crachat au visage par le secteur entier, ni plus ni moins. Sans parler de la place du travail social dans le débat public qui est quasi inexistante.
Le monopole des considérations budgétaires par des gestionnaires/financeurs qui ne voient la vie qu’à travers des tableaux excel sans rien connaître de nos problématiques concrètes, en plus de rendre notre activité vide de sens, ne provoque que maltraitance et résignation.
La seule façon d’y résister c’est par l’action collective. On obtiendra jamais rien pour nous et les gens qu’on accompagne tout les jours en s’en tenant à une grève symbolique tout les six mois.
Oui ainsi que le remarque C de Robertis le travail social pour s’exercer a besoin d’un « «contexte porteur « . Aujourd’hui ce sont les métamorphoses de la question sociale et les réponses apportées qu’il faut interroger. Par exemple le remplacement des postes d’accueil par des moyens numériques, l’augmentation des postes occupés par des agents de moindre qualification … la dimension mondiale et complexe de certains phénomènes sociaux ( émigration ) …
En ce qui me concerne je suis complètement en accord avec ce qui est exposé ici, une reconversion vers les métiers du social, des difficultés pour évoluer professionnellement lié à mon âge qui ne me permet pas de m’arrêter pour une formation longue, des expériences avec des conditions de travail allant à l’encontre des valeurs que je souhaite porter dans ce dernier.
Des horaires ne permettant pas de conserver un équilibre avec ma vie privée et des politiques publiques plus que douteuses.
Bref 2 ans après je suis rincé et souhaite déjà repartir vers autre chose malgré un métier que j’aime