Didier Dubasque
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Le « programme social » de Marine Le Pen : entre exclusion et discrimination

Il n’est pas si évident que cela de comprendre ce que fera Marine Le Pen en matière d’action sociale si elle est élue. Le site The Conversation publie toutefois la contribution de Fabrice Flipo,  professeur en philosophie sociale et politique qui aborde ce sujet. Le programme de Marine Le Pen comporte-t-il des mesures « sociales » ? Si on l’étudie tel qu’on peut le trouver sur son site Internet, le résultat est riche en enseignements écrit-il.

« Les institutions sociales seront restreintes et non étendues, et mises au service de la puissance nationale plutôt que de la redistribution : réduction des dépenses consenties envers les étrangers (8 milliards d’économies espérées) ; chasse aux fraudeurs de la sécurité sociale (entre 14 et 40 Mds) ; soutien financier à la natalité, la population étant une composante de la puissance ». Je dirais pour ma part que nous revenons au triptyque « Travail, Famille, Patrie ». La natalité est érigée comme un moyen de consolider la population franco-française face à l’immigration. Cette politique se veut un « cadre protecteur contre l’uniformisation mondialiste ». Cette politique familiale souhaite s’adresser à tous, riches et pauvres. Certaines aides familiales risquent ne plus être conditionnées aux montants des revenus. Les plus aisés ont à y gagner.

Haro sur les étrangers…

Ce programme annonce aussi que toutes les allocations et primes de politique familiale seront réservées, exclusivement, aux familles dont au moins l’un des deux parents est Français. Tous les enfants des familles étrangères en situation régulière seront exclus des allocations familiales. Je vous laisse imaginer le désordre que cela peut provoquer et l’inhumanité d’une telle mesure qui, rappelons-le, concerne l’éducation des enfants.

Plus d’un million de locataires étrangers seraient potentiellement menacés d’expulsion de leur logement social. Dans son livret thématique sur la famille, Marine Le Pen indique que : «La mise en place de la priorité nationale pour les foyers dont au moins l’un des parents est Français permettra de remettre rapidement sur le marché les 620.000 logements sociaux occupés par des étrangers, selon les chiffres de l’Insee pour 2017.» Remettre sur le marché, cela veut dire très concrètement résilier le bail des ménages étrangers, et les expulser. Pour autant, elle est revenue récemment sur ce point et déclare désormais que ce ne sera pas rétroactif ce qui normalement devrait permettre d’éviter des expulsions en masse. La solidarité est à géométrie variable, car les familles non françaises sont visées en priorité.

« On ne pensait pas que son programme était si brutal »

Marion Tambourindeguy et Marie Petruzzi, médecins du Comité pour la santé des exilé.es (Comede) interrogées par Mediapart sont unanimes : « On ne pensait pas que son programme était aussi brutal, ça fait froid dans le dos », disent ces deux médecins généralistes. En réduisant les possibilités pour les exilé·es de déposer une demande l’asile, Marine Le Pen leur retirera de facto la protection maladie universelle (accessible aujourd’hui aux demandeurs d’asile). La suppression de l’aide médicale d’État (AME), par ailleurs, privera les sans-papiers d’accès aux soins. Or, le milliard d’euros engagés pour l’AME est utile : « Plus on retarde les soins des malades, plus ils y ont recours en urgence, plus cela coûte cher. Nos patients sont atteints de maladies cardiovasculaires, mais aussi de troubles psychiques, car beaucoup ont été victimes de violences, surtout les femmes. »

« La solidarité ne se divise pas » explique la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS). « En exclure les étrangers, ou certains étrangers en raison de leur origine ou de leur religion, c’est admettre que l’humanité peut être divisée et autoriser ainsi l’exclusion des pauvres, des sans domicile fixe, d’autres encore, étrangers comme français. C’est laisser le champ libre aux catégorisations, aux stigmatisations, aux violences. Il n’y a pas de limite à cet engrenage qui finit toujours par broyer bien d’autres que les seuls étrangers ». La FAS invite à signer un appel intitulé L’extrême droite est la négation-même de la solidarité.

Les pauvres resteront pauvres ou le seront un peu plus

Le programme ne prévoit aucune modification dans la distribution des revenus : les pauvres restent pauvres et les riches restent riches écrit Fabrice Flipo.  Il conforte également l’ordre établi sur le plan du patrimoine, puisque Marine Le Pen prévoit la suppression de tous les impôts entravant la transmission des patrimoines, y compris l’Impôt sur la Fortune Immobilière. Précisons que la candidate a établi de multiples fiches thématiques qui traitent notamment de la protection de l’enfance, des « porteurs » de handicap, et de la famille.

Aucune des décisions n’est chiffrée. Ainsi, par exemple, il est annoncé la recentralisation de la protection de l’enfance, alors que dans un paragraphe précédent, il est considéré « indispensable de rendre obligatoire la poursuite de la prise en charge par les départements des jeunes majeurs qui en expriment le besoin et qui en ont réellement besoin ». Ce « qui en ont réellement besoin » donne une large possibilité de refuser toute aide.

Également interrogée par Médiapart Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD-Quart Monde explique que les programmes de l’extrême droite ne sont pas du tout favorables aux plus vulnérables, même s’ils ont l’air séduisants lorsqu’on en fait une lecture rapide. « Marine Le Pen fera le tri entre les “bons” et les “mauvais” pauvres, puisque ne seront aidés que ceux qui possèdent une carte d’identité française. À l’heure actuelle, le non-recours aux droits est important et je crains que ce soit plus le cas encore avec le Rassemblement national : beaucoup de personnes auront peur de demander ce à quoi elles ont droit ». L’extrême droite veut réduire les droits fondamentaux des étrangers qui permettent aux plus vulnérables d’avoir une vie à égale dignité des autres, veut leur interdire l’accès aux prestations sociales, aux soins, à l’emploi, à un logement digne et durable, à l’éducation pour les enfants. On imagine très bien ce que cela peut signifier pour les gens du voyage par exemple. Alors que c’est déjà bien compliqué pour eux, leur vie pourrait devenir encore plus difficile. »

Je n’ai par ailleurs pas trouvé dans le programme de Marine Le Pen la moindre référence au travail social. Finalement, C’est un curieux paradoxe sémantique que pose le Rassemblement National : au lieu de rassembler au sein de la nation, au contraire, il divise et catégorise la population. Il met en avant le rejet de celui qui est différent. Cela commence par les étrangers et leurs familles et demain, cela risque d’aller bien plus loin.

Lire aussi

 

 

Photo : capture d’écran lors débat du 20 avril sur France2

Partager

Articles liés :

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Catégories
Tous les sujets
Rechercher