Morgane Quilliou-Rioual, est de formation éducatrice spécialisée (1). Elle a présenté au récentes assises du CNAEMO un projet innovant mis en place avec l’association ANRAS de Toulouse, au bénéfice d’un service d’AEMO, l’APF, (Aide et protection des familles). Un assistant social du projet, Gérald Desprats était sur scène avec elle ainsi que Céline Dilangu (Directrice adjointe de l’APF).
Ce projet que nous vous présentons ici a pris la forme de deux ateliers, un premier pour un groupe d’adolescentes filles âgées de 12 à 16 ans et un deuxième avec leurs parents. Ils traitaient des pratiques numériques des jeunes, de leur mise en danger via les réseaux sociaux et de leur estime d’elle même à travers ces supports.
Pourquoi un tel projet ?
Cet atelier a vu le jour car l’équipe éducative s’est retrouvée confronté à plusieurs jeunes filles exprimant un mal être vis à vis d’elles mêmes et de leurs images, avec des difficultés à trouver leur place d’ados dans leur famille. Elles étaient complexées et manquaient de confiance en elles. Certaines jeunes filles étaient également victimes de « dérapages » de leur image. Ces constats étaient des obstacles à la construction de leur vie sociale et surtout toutes ces difficultés se jouaient ou se rejouaient sur les réseaux sociaux.
Prenons un exemple : une mesure d’AEMO avait été mis en place pour une jeune, suite à la diffusion d’une vidéo dans laquelle elle se masturbait. Elle pensait le faire en toute intimité avec un jeune de son âge qui s’est avéré être en réalité un adulte d’une trentaine d’années. Ce dernier a ensuite diffusé la vidéo de la jeune fille, prise à son insu, à tous ses contacts après lui avoir piraté son carnet d’adresses. Tous les camarades du collège ont alors reçu cette vidéo. Elle a dû changer d’établissement à cause du harcèlement qui en a découlé. Dans son nouveau collège, la vidéo l’a poursuivi et elle a été de nouveau victime de harcèlement. Face à ces traumatismes à répétition, elle est venue vivre à Toulouse chez sa mère, c’est alors que la mesure d’AEMO a débuté. L’équipe s’est trouvée démunie pour pouvoir accompagner cette jeune fille sur ces évènements.
Morgane Quilliou-Rioual était intervenue l’année précédente dans ce service pour former les équipes de professionnelles sur des questions liées au numérique dans leurs pratiques. Deux travailleurs sociaux, Marion Laurier-Bruzy et Gérald Desprats ont donc fait appel à elle. L’équipe souhaitait l’intervention d’un tiers extérieur à la mesure d’AEMO afin de ne pas renforcer la notion de contrôle et de jugement liée à la mesure judiciaire.
Comment se sont montés les ateliers ?
« Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises avec Marion et Gérald afin de définir les objectifs et les modalités de l’action. Une mesure d’AEMO est un accompagnement global de la famille. Nous avons alors décidé de monter deux ateliers distincts, l’un avec les ados et l’autre avec leurs parents ».
« Le fait de séparer les ados et les parents était pour favoriser un espace de parole libre, sans censure, sans le regard et le contrôle des parents. L’atelier pour les parents, était quant à lui destiné à privilégier un espace d’échange et d’informations sur leurs droits et devoirs de parents sur les problématiques liées à l’usage des réseaux sociaux de leurs enfants. Les deux travailleurs sociaux, porteur du projet, étaient présents lors des 2 ateliers afin de pouvoir donner une suite à ces ateliers dans leurs accompagnements. »
L’atelier ados a durée 3 heures avec le partage d’un goûter. Morgane a eu l’idée de s’appuyer sur un film interactif intitulé «Derrière la porte», réalisé par l’association E-Enfance. Interactif, dans le sens où le spectateur est confronté à des choix en fonction de l’évolution de l’histoire. Différents scénarios et réponses sont possibles au fur et à mesure. Il mettait en scène une famille composée d’une mère, d’un père, d’une adolescente de 13 ans et d’un adolescent de17 ans. Ils partageaient un repas tous ensemble lorsque les deux ados se lèvent de table. A ce moment, le spectateur a le choix de cliquer sur « la fille » ou « le garçon » afin de découvrir les différents scénarios proposés.
« Les adolescentes de l’atelier ont choisi de cliquer sur la fille » explique-telle. « Trois scénarios étaient possible : aller sur un blog, allumer sa web cam, ou aller sur Facebook. Nous avons fait les trois. Certaines réponses des scénarios étaient plutôt « soft » et d’autres plus « hard ». Au début, elles étaient plutôt timides, elles voulaient trouver et donner les « bonnes réponses ». Elles se toisaient un peu car elles ne se connaissaient pas, chacune partageaient son expérience et ses pratiques numériques en fonction des scénarios ».
« Au bout d’un moment, la plus âgées du groupe, qui assumait des pratiques différentes des autres (et un peu limites), a demandé à cliquer sur les propositions plus «trashs » en me disant « je ne ferai pas ça dans la vraie vie, mais c’est juste pour voir ce qu’elle va faire, ce qui va se passer ». Nous avons donc poursuivi l’atelier avec ce type de réponses. Cela à amener beaucoup de discussion et de débat autour de ce qui arrivait à la jeune fille du film.
Vous ne pourrez pas voir ce film car malheureusement il n’existe plus en ligne ».
L’atelier parents a duré 2 heures. Morgane Quilliou-Rioual avait préparé pour cela un diaporama en support d’intervention. Il présentait les différents réseaux sociaux et les utilisations que les adolescents en font. Elle a également abordé les questions de responsabilités de chacun au regard de la loi. Il était important que les parents comprennent les actions de leurs enfants et mesurent leurs responsabilités juridiques en tant que parents. Ceci afin de modifier/ajuster les regards et leurs accompagnements vis à vis des pratiques numériques de leurs enfants.
Chaque groupe est reparti avec un support papier. Il reprenait les idées essentielles abordées lors des ateliers, ainsi que des adresses de sites pour approfondir ces questions et répondre à leurs besoins. Les supports étaient différents et adaptés à chacun des deux groupes.
Quel bilan peut-on tirer de ce projet ?
Pour les ados : L’atelier les à conduit à se poser des questions sur leurs pratiques du numérique et qui leur paraissait aller de soi. Elles ont pu mesurer les enjeux et les conséquences auxquelles elles pouvaient s’exposer ou exposer les autres. Par exemple, elles ont découvert que « liker » ou repartager une vidéo ou une image, portant atteinte à la dignité d’une personne, était passible de sanction pénale. Le fait de traiter ce sujet sous forme d’atelier a permis également de confronter et de comparer des usages différents. Le fait d’utiliser un support externe leur a permis de se décentrer de leur pratique et de pouvoir parler plus librement ».
Pour les Parents : Les parents présents avaient déjà des connaissance sur le sujet. Avec cet atelier, ils ont pu se rassurer, renforcer leurs compétences et leurs vigilances dans ce domaine. Une des mamans présente a expliqué qu’elle a aussi « découvert des applications utilisées par nos ados que je ne connaissais pas et leur utilité car
elles peuvent évoluer rapidement par effet de mode et surtout techniquement. C’est un biais utile pour partager des moments ensemble sur un terrain qui les intéresse et qu’ils maîtrisent souvent mieux que nous ». Un autre parent a pu conclure l’atelier par un « c’est toujours plus vrai quand c’est une autre personne qui le dit ! ».
Pour les professionnels : Les intervenants porteur du projet ont pu découvrir les différents sites ou applications utilisés par les ados. Ils ont pu mieux comprendre l’utilisation que les jeunes accompagnées avaient des réseaux sociaux et plus généralement leurs usages du numérique. Ces ateliers leur ont donné de la matière pour en reparler dans les accompagnements si nécessaire et pour partager ces éléments en équipe. Ils se sont également rendus compte que ces ateliers ont été sources d’échanges au sein des familles.
Une réelle réussite et un vrai travail d’équipe.
Ces ateliers ont répondu aux objectifs de départ et bien au-delà car ils ont permis de recréer du lien dans les familles, de redonner du sens dans les accompagnements éducatifs autour de ces sujets. Les ateliers tels qu’ils ont été présentés sont un exemple concret de pratique éducative autours du numérique. Cette expérience montre, aussi la nécessité que nous avons en tant que travailleurs sociaux de se questionner sur ces problématiques et d’accompagner les publics. D’où l’importance lors des assises du CNAEMO de prendre le temps d’expliquer en détails ce que peut engager un travailleur social dans le cadre d’un accompagnement spécialisé.
« Faisons preuve d’innovation et d’audace dans nos approches ! »
(1) Gameuse dès son plus jeune âge, Morgane Quilliou-Rioual à toujours été attirée par les nouvelles technologies dans sa sphère privée. Dans les années 2000, ces outils se sont immiscés dans son univers professionnel et elle s’est très vite questionnée sur ces nouvelles pratiques. Rappelant que les différentes réformes des diplômes du travail social ont intégré l’utilisation des nouvelles technologies dans les référentiels, elle intervient depuis plus de 10 ans, dans les écoles de travailleurs sociaux sur le numérique en travail social avec les étudiants. Forte de cette expérience, elle a ensuite proposé des formations en institutions auprès des professionnels, ainsi que des ateliers auprès des publics accueillis. Elle est co-auteur d »un livre intitulé «Communication professionnelle et travail en équipe pluridisciplinaire en ESSMS», publié aux éditions Dunod en janvier 2020. Elle aborde ces questions et propose des outils concrets et réflexions concrètes aux professionnels. Au-delà du fait que ce sujet la passionne, il lui paraît aujourd’hui indispensable de l’intégrer à nos pratiques professionnelles pour améliorer nos communications et notre travail en équipe. Mais aussi pour sensibiliser et aider les publics accompagnés leurs usages du numérique.
Note : Merci à Morgane Quilliou-Rioual pour m’avoir transmis le texte de son intervention pour le partager sur ce blog.
Vous pouvez la retrouver sur Linkedin : morgane-quilliou-rioual
Photo : Morgane Quilliou-Rioual lors de son intervention aux assises du CNAEMO