Le Conseil National des personnes accueillies et accompagnées ainsi que 13 de ses instances régionales ont rédigé une synthèse des récits de confinement portant sur la période du 9 au 21 avril. Ce sont quelques 126 récits et témoignages ont été recueillis directement sur une plate-forme dédiée du CNPA. Cela concerne aussi des personnes qui vivent l’exclusion mais qui ne sont pas pour autant en lien avec des travailleurs sociaux. Voici ce qu’ils nous disent pour l’essentiel…
Après de 6 semaines de confinement, il y avait toujours des personnes à la rue
C’est une triste réalité. Dans notre pays nous n’avons pas été en capacité de proposer un hébergement pour tous même lors d’une crise justifiant de rester à l’abri. Cette affirmation s’appuie sur 11 témoignages de personnes à la rue et cinq témoignages de personnes hébergées en hôtel de confinement.
Il y a eu des informations qui ne sont pas passées : des personnes à la rue ne savaient pas qu’il y avait des possibilités d’hébergement. Des informations contradictoires ont été diffusée : Dans certains lieux, le 115 indiquait qu’il n’y avait pas de place alors qu’il y en avait dans des hôtels
Tous les médias ont parlé d’un grand nombre de places d’hébergement supplémentaires alors que beaucoup de personnes étaient encore à la rue. Il semble qu’il y ait eu à ce sujet une grande disparité et inégalité territoriale.
Une majorité des personnes se sont déclarées très soulagées d’avoir pu trouver un toit pour se confiner mais
- Certains ont vécu un grand sentiment d’isolement en hôtel dû à l’absence de personnel sur place. il y a eu sentiment d’enfermement.
- Le manque de proposition d’accompagnement a favorisé le développement de stress et un sentiment d’abandon
- L’après confinement annonçant le retour à la rue a été angoissant
La gestion des attestations s’est plutôt bien passée
Il y a eu moins de difficultés pour s’en procurer et la majorité des contrôles ont été corrects mais
- Il y a eu deux témoignages de verbalisation injustes et/ou abusives. Une personne souffrant de troubles psychiatriques a connu plusieurs gardes à vue.
- Deux établissements n’ont pas respecté la loi. L’un annonçant que toute sortie était interdite, l’autre ne fournissant d’attestation que pour s’engager dans du bénévolat.
- Certains ont reçu des modèles d’attestation par mail à imprimer alors qu’ils n’avaient pas d’imprimante à disposition
Une absence d’équipements barrières
- Il y a eu peu de masques et gants (voire pas du tout) pour le personnel des établissements et encore moins pour les personnes accueillies.
- Les personnes n’avaient pas de thermomètre alors qu’en cas de cas suspecté, certains établissements se sont vus préconiser de prendre la température une fois par jour à l’ensemble des résidents.
- Beaucoup de questions ont été posées sur la possibilité de se procurer des masques et sur qui allaient les payer. Plusieurs personnes accueillies ont demandé à être dépistées et ont regretté que cela ne soit pas possible.
Beaucoup de situations professionnelles sont « hors des clous » des dispositions gouvernementales
Les missions intérim ont été suspendues. Il y a eu des ruptures de CDI pendant la période d’essai. L’absence de petits boulots a mis de nombreuses personnes en difficulté. Elles ont été bloquées dans leurs recherches d’emploi.
Cette situation inquiète les personnes étrangères dont le renouvellement du titre de séjour dépend de la situation d’emploi.
Une galère quotidienne pour manger à sa faim
- Trois personnes interrogées ne faisaient qu’un repas par jour. D’autres se sont déclarées très angoissées de ne pas avoir de quoi manger.
- Faire les courses pouvait mettre en infraction : Les supermarchés les moins chers sont souvent excentrés et il y a moins de transports publics pour s’y rendre.
- Les commerces de proximité sont beaucoup trop chers pour les personnes qui ont de faibles revenus.
- Il n’y avait plus de possibilité de faire du troc, d’acheter à moindre prix, de récupérer les invendus en fin de marché….
- Des personnes ont continué à faire la manche pour survivre au risque d’une amende.
- Il a fallu choisir : manger à sa faim ou payer son loyer…
Tous les projets individuels ont été mis à l’arrêt
Beaucoup de personnes accueillies et ou accompagnées étaient déjà en attente d’un logement, d’un hébergement, ou encore de trouver un emploi pour se construire une meilleure situation. La période de confinement a activé la crainte de perdre le peu de stabilité acquis. Cette crainte s’est traduite de multiples commentaires.
L’après confinement a provoqué beaucoup de questions. Des questions sées avec une certaine angoisse.
L’absence totale d’accompagnement social a été également très souvent abordé. Les contacts directs avec les travailleurs sociaux ont manqué.
- Certaines situations déjà problématiques avant le confinement ( rupture de droits, absence de médecin traitant) n’ont pas été résolues.
- Des rendez-vous médicaux ont été annulées et le suivi médical à minima et à distance a été mal vécu.
- L’impossibilité d’accéder aux centres d’addictologie et à des places en cure a aussi été mal vécu.
- Les cours de français ont été suspendus sans aucune possibilité de poursuivre un apprentissage à distance faute d’ordinateurs . Certaines personnes migrantes ont témoigné de l’insuffisance des cours pour leur permettre de se débrouiller correctement. Le manque de maitrise de la langue pour comprendre toutes les consignes, recopier une attestation ont été une réelle difficulté
- L’absence de réponse aux procédures de demande d’asile ou de titre de séjour ont aussi posé problème et généré une forte angoisse chez les demandeurs
Beaucoup de rancœur
C’est un sentiment d’injustice qui a prédominé. Nous sommes « les oubliés de la France » « on nous laisse crever » « ils nous abandonnent » « On a l’impression qu’on a traité le problème SDF à la va vite ». Il y a « une morale pour les aigles et une autre pour les pigeons ». « Le monde du partage devra remplacer le partage du monde ».
Des petites associations se sont révélées très utiles ( écrivains publics, distribution alimentaire). Certaines ont été contraintes de fermer boutique ou ont eu des problèmes de trésorerie.
Les propositions Conseil National des personnes accueillies et accompagnées
- L’État doit plus penser aux personnes en situation de précarité et coordonner de façon plus importante les initiatives et ce qui se passe dans les territoires.
- Il doit aussi soutenir les petites associations. Il devrait avoir plus de générosité inter-associative de la part des grosses associations envers les petites.
- Pour les personnes précaires, avoir un réseau, des relations, ça permet de ne pas se sentir seul mais aussi de s’entraider, d’avoir des tuyaux, des informations, de se débrouiller pour garder la tête hors de l’eau. Tout ça a volé en éclat avec le confinement, les personnes les plus démunies ont été encore plus en difficulté que les autres.
- Le moyen d’informer les personnes vulnérables c’est de démarcher et d’aller vers elles pour pouvoir leur apporter une information adaptée à chaque situation singulière. Les associations et les collectivités locales ont un rôle important à jouer dans ce domaine.
- Le numérique peut aider à de nouvelles formes de partage et de relations sociale. Un des meilleurs exemples est la plate-forme CNPA-CRPA mais ça ne peut ni doit remplacer les relations et la solidarité dans la « vrai vie ».
- Le fond du problème par rapport à la vie déconfinée c’est la nécessité de changer nos habitudes voire même nos mode de vie. Arrêter le brouhaha permanent, ralentir l’activité, avoir plus de discipline. Il faut aussi être vigilant à ce que les mesures de sécurité n’entraînent pas l’exclusion de certaines populations.
Retrouvez ici la synthèse des récits de confinement du 9 au 21 avril
Photo : Thierry Renaut membre du CRPA au Havre qui avait contribué aux travaux du groupe numérique du HCTS au titre du CNPA
2 Responses
Un problème qui n’est pas fini. La précarité et ses conséquences vont aller certainement au delà de l’été
Il faut profiter de saluer toutes celles et ceux qui ont accompagné ces publics pendant de longues semaines
Il ne faudra pas l’oublier
Notre organisme de formation qui travaille sur la gestion des situations de violence auprès des intervenants sociaux et du médico social salue votre travail
Nous sommes également en pleine réorganisation de notre travail de formation qui devra tenir compte des gestes barrières. Première formation prévue au sein d’un CDEF en juin. Nous pourrons vous faire un retour
Bonjour, Oui votre retour d’expérience m’intéresse. Si vous pouvez m’envoyer des éléments, je verrais si je peux en rédiger un article. Bien Cordialement
Didier Dubasque