Affaire Marina : condamnation inédite de la France par la Cour européenne des droits de l’homme
C’est une première et un espoir pour les défenseurs des enfants explique France Culture. La CEDH a estimé que la France n’a pas protégé la fillette des « tortures et traitements inhumains » infligés par ses parents. Elle était morte en 2009, à 8 ans, malgré un signalement à la justice et après plus de six années de sévices.
C’est la première fois que la responsabilité de l’État français est reconnue à travers cette affaire emblématique de la maltraitance vécue par les enfants. Le classement sans suite en octobre 2008 d’un premier signalement constitue pour la cour européenne une violation de l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme entrée en vigueur en 1953. Elle interdit la torture, les traitements inhumains ou dégradants. La France est condamnée pour ne pas avoir agi ni protégé. (lire l’article de France Culture)
Face à cette condamnation « Adrien Taquet réaffirme l’engagement de l’État et dresse le bilan des mesures prises depuis 2009 »
Dans un communiqué le secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance déclare avoir pris acte de la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. « Plus de dix ans après le décès de Marina, de nombreuses mesures ont été prises » explique-t-il « pour pallier les défaillances que ce drame avait mis en lumière et pour répondre aux préconisations de la mission Grévot demandée par le Défenseur des Droits en 2014. »
Adrien Taquet décline ensuite les mesures prises depuis cette terrible affaire qui avait suscité une grande émotion et des accusations en chaine de la part des associations de défense des enfants victimes de violences.
Il rappelle d’abord que dès 2012, la loi du 5 mars a permis la transmission d’informations entre le président du conseil départemental d’origine et celui du conseil départemental d’accueil en cas de déménagement de la famille notamment lorsque la famille est concernée par l’évaluation d’une information préoccupante. Cela permettant de poursuivre le travail d’investigation en cas de déménagement de la famille.
La mise en place des cellules de recueil et traitement des informations préoccupantes (CRIP) centralisée au niveau départemental a été la réponse permettant d’éviter que certains signalements soient « oubliés » ou ne soient pas traités correctement. Aujourd’hui, tous les départements disposent d’une CRIP. La loi du 14 mars 2016 a en outre renforcé le cadre en prévoyant une évaluation pluridisciplinaire des informations (pour éviter l’isolement professionnel et une seule et unique analyse d’une situation conduisant à des appréciations erronées des situations)
Il est aussi fait été dans ce communiqué de la mise en place depuis 2016, d’un médecin référent «protection de l’enfance» désigné dans chaque département. Il a notamment pour mission de contribuer « au repérage des enfants en danger ou en risque de l’être, à l’information sur les conduites à tenir dans ces situations.
Viennent ensuite les travaux en cours avec
- La rédaction d’un référentiel national pour l’évaluation des informations préoccupantes destiné aux personnels en charge de ces évaluations.
- Le rappel de la nécessité de rendre effectives les formations communes en matière de protection de l’enfance, en application de la loi du 5 mars 2007 (ce qui montre que ce n’est pas encore le cas)
- La mise en place et l’évaluation des observatoires départementaux de protection de l’enfance (ODPE)
- La mise en place sur tout le territoire d’unités d’accueil pédiatriques enfants en danger
- La préconisation que tous les conseils départementaux organisent systématiquement un accompagnement autour des enfants nés « sous le secret » et reconnus ensuite par un au moins de leur parent.
- Le développement d’un centre de ressources sur la maltraitance
Lire le communiqué d’Adrien Taquet
Toutes ces actions peuvent elles suffirent ? plusieurs observations paraissent nécessaires.
1. La mise ne place de la systématisation du recueil d’informations préoccupantes et de son traitement n’aborde jamais la question des moyens humains à engager pour que ces évaluations puissent être correctement réalisées dans des délais permettant une protection rapide de l’enfant si cela s’avère nécessaire. Or la mise en place des dispositifs a provoqué une multiplication des signalements qui ne sont pas tous pertinents loin de là. Les moyens humains ne suivent pas. Or assumer la protection se traduit par des moyens suffisants d’accueil des enfants. Des décisions sont aussi prise en fonction des capacités d’accueil existant localement.
2. Le poids des décisions judiciaires reste prédominant. Quand un juge se prononce sur un non lieu ou un procureur sur un classement sans suite comme ce fut le cas pour Marina, il reste difficile pour les services sociaux d’instruire un nouveau signalement même avec des signes inquiétants dès lors que l’information préoccupante précédente n’a pas abouti. Le droit à l’erreur judiciaire et droit à l’erreur tout court reste des « impensés ».
3. Nous sommes entrés au nom de la recherche du risque zéro dans la logique du parent présumé coupable. Un travailleur social ne peut porter seul la responsabilité d’une évaluation d’autant que certaines d’entre elles aboutissent sur des éléments incertains voire contradictoires. Les mécanismes de prise de décision au sein d’équipes pluridisciplinaires ne tiennent pas compte des mécanismes de groupe, des leaderships informels et des à priori de certains acteurs tout autant influents. Certains travailleurs sociaux qui sont au contact des familles sortent parfois dépités et en désaccord avec les décisions qui sont prises.
4. Le travail social n’a pas vocation a devenir la police des familles. Nous ne pouvons continuer d’avoir un discours de reconnaissance du pouvoir d’agir des familles tout en étant systématiquement dans une logique de défiance dès lors que survient une information préoccupante. Les regards des professionnels sont biaisés selon la place qu’ils occupent auprès ou face à la famille. Il faut rappeler que le travail social vise à la promotion des personnes en les aidants à développer leurs propres capacités. Cela ne fonctionne plus de cette façon dès que le travailleur social est positionné dans une logique de contrôle.
Rien n’est simple et surtout pas les questions liées à la gestion des situations où la protection de l’enfant est interrogée. Dans ce domaine, les travailleurs sociaux font souvent face à des injonctions paradoxales. Ils sont sujets à des tensions éthiques et déontologiques. Ils ont, non seulement besoin d’être écoutés et entendus mais aussi d’être soutenus sans à priori.
Photo : la Cour Européenne des Droits de l’Homme (capture écran vidéo du film de présentation)
2 Responses
petite erreur: le classement sans suite c’est le Parquet (et pas le Juge) . Les moyens alloués sont trop faibles (en AEMO où j’interviens, au regard du nombre de mesures, on peut organiser une VAD tous les 2 mois) et les injonctions paradoxales entrainent usure pro et burn out effectivement. Monsieur TAQUET nous parle de mesures nouvelles mais qui étaient déjà inscrites dans la loi de 2007 réformant l’ASE. Il omet de dire qu’il a fallu une nouvelle loi (2016) pour réaffirmer des principes et des outils qui ne sont toujours mis en oeuvre dans tous les départements (le PPE par ex).
Merci Noël de ta précision que j’ai corrigée dans le texte (sur le parquet). Effectivement le PPE a bien du mal à être mis en œuvre dans certains Départements mais il faut préciser aussi que certains en ont fait une véritable usine à gaz ! au lieu de faire simple et facilement compréhensible pour l’enfant et sa famille…